Une de ses œuvres majeures restera la sculpture d’une matière futile, la poussière, qui, activée par les battements de cœur des spectateurs et placée sous un faisceau de lumière rouge, eut les honneurs du Museum of Modern Art de New York, en 1968. Né en 1925, à Moulins (Allier), Jean Dupuy, adepte d’un art techno-sensoriel, d’un art du bricolage (des machines et du langage) qui permet de décaler la perception du monde et de soi-même, est mort le 4 avril, à l’âge de 95 ans, dans un hôpital à Nice.
Délier le sens du langage
Si la peinture a ses faveurs au tout début de sa carrière, à Paris, dans les années 50, il lui fait vite goûter l’eau de la Seine pour y noyer ses toiles, exécutées dans la veine de l’abstraction lyrique. Une action destructrice qu’il commente d’un laconique et sonore «Plouf ! Ouf». L’artiste traverse l’Atlantique en 1967, pour s’installer à New York et, presque aussitôt se faire une place au soleil de l’influente galerie Ileana Sonnabend, séduite par son Cône pyramide (Heart Beats Dust), ce dispositif à faire battre à l’unisson le cœur et la poussière. D’autres petites machines sont mises sur pied et, à chaque fois, surprennent, amusent, attendrissent. Mais Dupuy se méfie de la puissance montante du marché de l’art, et quitte sa galerie en 1973, pour organiser lui-même, au sein de son atelier, des performances collectives réunissant la faune avant-gardiste new-yorkaise, dont Gordon Matta-Clark, Nam June Paik ou George Maciunas.
Sa pratique dérive ensuite vers le langage dont il délie le sens à travers des anagrammes et des jeux de mots visuels, à la manière des poètes sonores comme son ami Bernard Heidsieck, que ses œuvres animées mettent en branle et que ses tableaux viennent fixer. Il inscrit ainsi sur un disque le mot «Inouï». De fait on n’entend rien, mais on voit double, le n et le u, en tournant, font du mot un palindrome. En 1984, Dupuy (ou Ypudu, Anagrammiste selon le titre d’un de ses livres, publié en 1987) revient en France, à Pierrefeu. Il n’a depuis cessé d’exposer avec la régularité d’un métronome, de la biennale de Venise en 1990, au Mamco de Genève en 1998, au Mamac de Nice en 2007 et depuis 2010, dans sa galerie française, Hervé Loevenbruck. Son dernier chantier a consisté à mettre les pierres à contribution. Repérant la forme d’une lettre de l’alphabet dans le relief de galets glanés ici et là, il composait des espèces d’haïkus. En semant ainsi des petits cailloux, trésors discrets et dérisoires de subtilité et de drôlerie, Jean Dupuy a montré la voie d’un art peu spectaculaire, sans fioritures, mais pas sans sel.