La photographie a quelques atouts pour elle quand on la compare à la sculpture. Elle peut être fine, discrète, et se permettre des choses que des pièces en volume ne peuvent pas. C’est sans doute ce qu’a constaté l’artiste Katinka Bock dont le travail photographique est exposé à la Fondation d’entreprise Pernod-Ricard. Plus connue pour ses sculptures, qui prennent souvent la forme de peaux, de surfaces en terre et d’enveloppes suspendues dans les airs, l’artiste allemande installée en France a toujours pratiqué la photographie. Elle expose pour la première fois ses clichés sans ses sculptures dans une très élégante mise en espace blanche et dépouillée, où flottent des panneaux verts pâte d’amande, sorte de cloisons aériennes sur lesquelles sont alignés les tirages.
Sur les photos – des petits formats à majorité noir et blanc – on reconnaît l’attention délicate de la sculptrice pour les surfaces et les matières, là les plis d’un tee-shirt blanc, ailleurs une plaque trouée derrière laquelle se cache un visage. Katinka Bock regarde aussi avec douceur les ombres géométriques sur un mur, un aspirateur qui ressemble à un animal ou la forme étrange des mains et des oreilles humaines. Naturellement, la photographie prend l’avantage sur la sculpture quand elle s’attache à capter le vivant : sur les petits tirages de Katinka Bock, l’écorce jaune vif et charnue de deux citrons, l’ombre chinoise d’une sauterelle, un grand morceau de peau sur des omoplates ou un petit crabe au fond d’une tasse frétillent presque de vie malgré leur absence de volume.
La photographie a aussi ceci d’intéressant : elle immortalise l’éphémère. Devant l’objectif de la sculptrice, une longue chevelure étendue sur de la paille prend la forme de tentacules. La peau d’un tibia porte les empreintes de l’herbe, sculptures charnelles qui vont bientôt disparaître grâce à l’élasticité de l’épiderme. Mais là où l’image devient magique, c’est quand elle défie les lois de la gravité. Une faculté qui semble beaucoup amuser la sculptrice puisqu’elle a accroché des photographies de cheveux à l’envers par exemple. Les poils humains dessinent des cascades inversées. Il y a aussi cette langue et ces pieds qui restent suspendus en l’air dans le cadre du tirage. Pas besoin de fils ou de câbles pour les retenir. Les images ont pour elles leur incroyable légèreté.