Le livre s’appelle Quelques-unes..., et il est le premier à reconnaître «qu’elles» n’y sont pas toutes. Elles ? Les « femmes de l’art contemporain en France », que l’autrice, l’historienne de l’art Anne Martin-Fugier, à qui l’on doit déjà les livres d’entretien Galeristes (2010), Collectionneurs (2012) et Artistes (2014), a questionnées pour « lire le cheminement de notre époque ». On y croise entre autres Germaine de Liencourt, arrivée au centre Pompidou trois mois avant son ouverture en 1976, Jennifer Flay directrice artistique de la Fiac depuis 2003, ou Emma Lavigne, récente présidente du Palais de Tokyo. Se dessinent au fil des pages des parcours dont la singularité fait le prix, que ces femmes soient directrices d’institutions ou de galeries, parisiennes ou provinciales, œuvrant depuis trois ou quatre voire cinq décennies… Telle Suzanne Tarasiève, qui «ne connaissait rien au fonctionnement d’une galerie» mais se lance, à la seule force de sa volonté (et de son culot) à Barbizon en 1978. Ou Noëlle Tissier, qui transforme l’école municipale des beaux-arts de Sète en lui adjoignant une résidence d’artistes et une maison d’édition pour créer la Villa Saint Clair, puis conçoit le Crac (Centre régional d’art contemporain) qu’elle dirige pendant vingt ans.
Au fil des pages certains thèmes reviennent, comme l’écart considérable entre Paris et la province (et la liberté qui naît des marges), l’importance de participer à la Fiac (et le drame de ne pas y être), l’abandon des artistes français par les institutions (encore plus vrai pour les plus de 50 ans), l’inversion du rapport de force entre musées et galeries (au profit des secondes), la mainmise croissante de la finance sur le milieu... «L’emprise de l’argent sur l’art a toujours existé. Mais il y avait aussi le professionnalisme et le respect pour celui qui sait… Maintenant dans les musées, je vois que la mainmise de l’argent sur les boards a pris parfois le dessus sur la transmission et le respect de l’artiste», juge ainsi Marie-Claude Beaud, directrice-fondatrice de la Fondation Cartier, puis encore récemment à la tête du Nouveau Musée national de Monaco. «L’Etat ne donne pas à ses institutions publiques les moyens de mener à bien les missions qui leur ont été assignées et, d’un autre côté, accorde des déductions fiscales à des entreprises privées pour remplir ces missions-là. C’est très pervers… » analyse Roxana Azimi, journaliste au Monde et au Quotidien de l’art. La générosité avec laquelle les interviewées partagent leurs expériences et quelques déconvenues rend le livre aussi instructif qu’inspirant.