L’Américain disait «être né avec la vidéo». Il aura grandi avec elle, accompagnant toutes les évolutions techniques du médium et grandissant avec le numérique. Il se souvenait ainsi, dans le même entretien, qu’au début, au seuil des années 70, «on portait bien 20 à 30 kg sur l’épaule pour filmer une vidéo, et l’ordinateur n’existait pas.» Sorti de l’université de Syracuse, où il étudie la musique électronique (avec le compositeur et pianiste, David Tudor notamment) en même temps que les arts plastiques, disciple de Nam June Paik, il est un technicien hors pair en matière de technologie audiovisuelle et loue ses services dans les musées et les galeries. Jusqu’en Italie, à Florence, où il devient pour deux ans le directeur technique d’un studio d’art vidéo qui produit les œuvres d’artistes (Vito Acconci ou Chris Burden) filmant leurs performances. Ses premières pièces (dont Information) se suffisent, elles, de la matière vidéo à l’état brut, diffusant des images brouillées, interrompues par des mires visuelles, sans aucune insinuation narrative ou formelle. Soit l’établissement d’une grammaire expérimentale à laquelle est par la suite insufflée une dimension spirituelle, charnelle et voluptueuse.
Il rencontre sa femme, Kira Petrov, en 1977, à Melbourne en Australie, où la jeune femme dirige un festival culturel. Il la considère vite comme sa collaboratrice et davantage même comme la coautrice de ses œuvres, dès lors qu’ils installent ensemble leur studio à Long Beach. Auparavant, en 1980, ils passent un an et demi au Japon à suivre l’enseignement d’un maître zen. Cette expérience imprégnera durablement ses œuvres de la conscience de l’épaisseur du temps, de la connexion des êtres aux éléments naturels (l’eau et le feu en particulier). Ce qui ne va pas sans une certaine emphase et grandiloquence dans les projections. La manière onctueuse de traiter l’image, son grain, ses couleurs, saturées, le recours insatiable aux effets spéciaux, dont le ralenti, sa grande marque de fabrique, traduisent une minutieuse fascination pour les mouvements de l’âme et des corps et véhiculent parfois une sombre inquiétude, accrue par l’installation de l’écran dans l’espace. Ainsi Passage (1987) contraint le spectateur à s’engouffrer dans un couloir au bout duquel, dans une salle exiguë, est projeté le goûter d’anniversaire d’une fillette. L’extrême lenteur du film (vingt-six minutes de rush projetées en plus de six heures) et l’immensité de l’écran, disproportionné par rapport à la salle, instillent un malaise inattendu.
Bill Viola joue sur cette carte, immersive dirait-on aujourd’hui, en s’inspirant de la peinture classique de la Renaissance et des canons de son iconographie. Quand il représente les Etats-Unis à la biennale de Venise en 1998, il y montre The Greeting (1995), évocation d’une visitation du peintre italien Pontormo. Les images, tournées en quarante-cinq secondes, sont étirées sur dix minutes, ce qui donne l’impression d’assister à la lente mise en branle des images fixes de la peinture. Il emprunte aux tableaux leur volupté et en imprègne la vidéo, réchauffant en quelque sorte et chargeant d’histoire ce tout jeune médium. Qu’il lie aussi étroitement à des épisodes autobiographiques : dans une de ses vidéos, il superpose les images de son nouveau-né et celles de la mère mourante, tandis que dans The Dreamers, il transcrit une expérience de noyade mystique vécue dans son enfance.
Un avant la consécration vénitienne, une rétrospective lui avait été consacrée par un aréopage de musées internationaux, de New York à Francfort, en passant par Los Angeles et Chicago. Peter Sellars était déjà de la partie, prémices d’une collaboration au long cours dont le haut fait aura lieu à Paris en 2005 à l’Opéra Bastille, où les vidéos de l’artiste nappent le décor de Tristan et Isolde de Wagner : sur scène, à l’écran, des personnages émergent miraculeusement d’une eau cristalline (les images ont été inversées au montage puisque au tournage les corps plongeaient).
Lire notre entretien de 2008 avec Bill Viola
En 2014, Il déploie une vingtaine de ses œuvres au Grand Palais dans une rétrospective sidérante incluant notamment Going Forth by Day, un périple et cinq récits transmis simultanément sur autant d’écrans, dont le plus grand fait 11 mètres de long. Une grandiloquence saisissante que Bill Viola aura toujours mise au service d’une représentation de corps en lévitation, touchés par la grâce ou menacés par le naufrage, à deux pas d’ici (l’espace réel) et pourtant ailleurs (dans l’espace éthéré de la vidéo).