On dit souvent que les murs ont des oreilles. Chez Mehdi-Georges Lahlou, ils ont aussi des bouches, gorgées de menaces et d’ignominies. Pour son exposition à la Centrale de Bruxelles, le plasticien franco-marocain, né en 1983 aux Sables-d’Olonne (Vendée) – qui vit partiellement à Bruxelles – a recouvert un grand mur de graffitis. Et dans le fouillis des mots tagués avec des bombes de couleur, on distingue ces insultes : «Cramez les pédales», «PD = PB», «Gay Stay away», «No Queer»… Se déchiffre aussi : «Haïtiens tueurs de Martiniquais», «Partez Bico Arabe», «la France aux Français», «Stop the Asian Invasion»…
Nuages de henné
Palimpseste de peinture aérosol, ce torrent d’injures racistes et homophobes témoigne de la violence banalisée, celle que l’on ne remarque plus. Au cœur d’un dédale en forme de bunker, construit spécialement pour l’exposition, Mehdi-Georges Lahlou, qui a invité pour exposer avec lui l’artiste sud-africaine Candice Breitz, de dix ans son aînée − elle est née en 1972 −, place au cœur de son travail l’identité, matière à stéréotypes et prétexte d’agressivité. Avec des œuvres très différentes, les deux plasticiens – le Franco-Marocain racisé en Europe et la blonde platine en Afrique – explorent l’histoire, les outrages et la ségrégation. Souvent, ils utilisent leur propre corps, des «canevas» qui «portent le poids des problématiques soulevées».
A l’entrée, de grands écrans en enfilade montrent le torse nu de Mehdi-Georges Lahlou dans des nuages de henné, de gingembre, de curcuma et de cannelle. Cette hypnotique installation, Spicy, où le corps de l’artiste étouffe sous des jets d’épices, peut se lire comme un clin d’œil à la double culture du plasticien mais aussi comme une référence aux soldats nord-africains, victimes du gaz moutarde pendant la Première Guerre mondiale. Dans une petite pièce, un buste en bronze de Mehdi-Georges Lahlou est là encore bombardé, cette fois de grenades explosées, comme s’il avait été assailli par de grosses tomates. Juste en face, on retrouve un hommage aux tirailleurs nord-africains, des gisants sur de grandes photographies recouvertes d’une couche de fusain, sorte de fantômes funèbres. Ancien danseur, Mehdi-Georges Lahlou s’est fait connaître par ses performances. A Bruxelles, il ne revisite pas seulement les images d’archives : il a pudiquement transformé une vidéo virale homophobe à Casablanca en tableaux de céramique, pour qu’on n’oublie pas les victimes.
Yin et yang
Pour sa part, Candice Breitz électrise l’expo. Quand, pour son film Extra, elle s’incruste en tant que blanche sur les plateaux de tournage de Génération, un feuilleton extrêmement populaire depuis la fin de l’Apartheid, réservé aux acteurs noirs, elle se fait grinçante, symptôme gênant de l’Afrique du Sud dominée par les blancs. Dans son installation Whiteface, là voilà en ignoble zombie, perruques blondes sur la tête, ventriloquant des séquences médiatiques (Fox News, youtubeurs…) sur la blanchité, parodie de l’extrême droite. Sorte d’hydre de la race blanche, elle pourrait vomir les insultes du mur de Mehdi-Georges Lahlou. En forme de yin et de yang, les œuvres des deux artistes se répondent sous les calomnies et les coups. Extra bien vu et bien flippant.
Extra de Mehdi-Georges Lahlou et Candice Breitz à la Centrale de Bruxelles, jusqu’au 17 septembre.