«Il ne pourra plus restaurer ou refaire sa peinture si celle-ci est effacée ou recouverte par un autre artiste», regrette le Berliner Zeitung. L’artiste germano-russe Dmitri Vrubel, auteur de la plus célèbre fresque du mur de Berlin, est mort dimanche à l’âge de 62 ans des suites d’une infection au coronavirus. Il laisse derrière lui Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel, une peinture mondialement connue. Soit la représentation du «baiser fraternel» entre Léonid Brejnev et Erich Honecker, dirigeants de l’URSS et de la république démocratique d’Allemagne (RDA), qui s’enlacent, têtes inclinées, les lèvres serrées et les yeux fermés, sur une portion de l’East Side Gallery, vestige touristique du mur de Berlin long de 1,3 kilomètre.
Le Russe fait partie des nombreux artistes qui ont laissé leur empreinte sous forme de graffiti coloré au printemps 1990, peu de temps après la chute du mur de Berlin. Lorsqu’il peint ce baiser des deux dirigeants du bloc de l’Est, Dmitri Vrubel s’inspire directement du cliché pris par le photographe de presse français Régis Bossu, plus de dix ans auparavant. Le 5 octobre 1979, à l’occasion du trentième anniversaire de la RDA, une cérémonie en grande pompe a été organisée et un accord a été conclu avec l’URSS. Les Allemands fourniraient des navires, des machines et des produits chimiques à leur «nation sœur» en échange du pétrole et des matières nucléaires soviétiques. L’amitié a été scellée par un baiser entre les deux dirigeants Brejnev et Honecker. La scène immortalisée a fait la une de Paris Match et a marqué Vrubel, qui a gardé cette dernière en tête et l’a reproduite grandeur nature dix ans plus tard.
A l’époque, l’artiste vient d’arriver en Allemagne de l’Est depuis Moscou, où il faisait partie du groupe d’art progressiste, le Club d’avant-garde (Klava). Dans son appartement moscovite, le dissident organisait aussi des expositions clandestines d’œuvres d’art. Mais c’est bien sa fresque berlinoise qui le rend célèbre et devient un lieu incontournable pour les touristes du monde entier. En intitulant son œuvre Mon Dieu, aidez-moi à survivre à cet amour mortel, Vrubel se place volontiers du côté de la satire. Un ton que l’artiste conserve dans un calendrier intitulé les Douze Humeurs de Poutine qu’il crée en 2001 avec sa femme Viktoria Timofeyeva, et qui montre le dirigeant russe chaque mois dans un état émotionnel différent.
Tee-shirts et magnets
L’œuvre historique n’a pourtant pas échappé au temps. La plupart des graffitis ont été réalisés à l’époque avec une peinture bon marché, peu adaptée au béton et fragilisée par les intempéries et le passage de nombreux visiteurs. Les joues roses de Brejnev et le teint vert de Honecker pâlissent. En 2009, les peintures sont effacées, le béton restauré, et on demande aux artistes de reproduire leur œuvre. Vrubel est furieux, mais renouvelle son œuvre avec une peinture plus résistante, vingt ans après la chute du mur de Berlin.
Comme toute attraction touristique digne de ce nom, l’image est imprimée sur des tee-shirts, commercialisée sur des tasses, des magnets… dont le peintre dit ne pas toucher un seul centime. Seuls les frais pour le renouvellement de la peinture en 2009 − 3 000 euros − lui sont versés. Une situation qui s’explique par l’inapplicabilité en Allemagne des droits d’auteur à des œuvres d’art réalisées dans l’espace public. Reste la gloire et la mémoire : ce mardi, de nombreuses gerbes de fleurs ont déjà été déposées au pied de la fresque.