Menu
Libération
Disparition

Mort de la sculptrice Valentine Schlegel, âtre contemporain

L’artiste originaire de Sète, dont l’œuvre, brute et raffinée, a été révélée tardivement, est morte dimanche à 96 ans.
Valentine Schlegel, dans son atelier rue Bezout, dans le XIVe arrondissement de Paris, vers 1955. (Succession Agnès Varda)
publié le 17 mai 2021 à 18h11

Ses vases, saladiers, gargoulette et «arbre à coupes», poteries arborescentes aux couleurs grisâtres et brunâtres, à la surface bosselée et aux formes massives, n’ont reçu l’attention qu’ils méritent dans l’art contemporain il n’y a que trop peu de temps. Et si Valentine Schlegel a vu s’ouvrir à ses productions artisanales le Centre d’art contemporain de Brétigny-sur-Orge en 2017, puis celui de Sète deux ans plus tard, c’est par le truchement admiratif d’une jeune artiste, Hélène Bertin, qui fit un remarquable travail de recherche sur son aînée, plus habituée, dans les années 70, à exposer au Musée des arts décoratifs de Paris. Atteinte d’Alzheimer, elle est morte dimanche à l’âge de 96 ans.

Image singulière

Née à Sète, Valentine Schlegel reçoit de la part de ses parents, artisans aisés, une éducation sans entrave. Dès ses 15 ans, elle est libre de prendre la mer pour aller pêcher, comme rarement les jeunes filles à l’époque peuvent le faire. Elle participe aussi à des championnats de gymnastique, monte à cheval et part camper, faire du feu, bricoler des outils avec les Eclaireuses de France. En 1942, elle s’inscrit aux beaux-arts de Montpellier et, diplôme en poche, homosexuelle, file s’installer à Paris pour jouir de la liberté des mœurs. Elle gardera cependant toujours un atelier à Sète et traînera dans la capitale son accent du Sud qui, avec ses cheveux courts, son régime végétarien et sa carrure athlétique, lui donne une image singulière, exotique, coïncidant avec son art qui ne connaît pas de césure avec les pratiques artisanales et vernaculaires. Elle fait ses armes au premier Festival d’Avignon, en tant qu’accessoiriste, avant d’y endosser tout un éventail d’autres rôles (régisseuse, souffleuse, costumière) par l’entremise de Jean Vilar, époux de sa sœur Andrée.

Travail ciselé

Au début des années 60, elle commence à construire des cheminées, qui ne se réduisent pas à un foyer et à un conduit mais s’allongent aux alentours pour former des excroissances habillées du même blanc plâtreux et qui font office de vide-poches, d’étagères, de plans de travail, de bibliothèques, de bancs. Ces cheminées, au centre et tout autour du foyer, que Schlegel fabriqua par dizaines, sur commande, pour des particuliers, avaient été oubliées avant qu’une artiste n’en fasse l’inventaire et n’en retrouve les merveilleuses maquettes stockées dans la cave de son domicile parisien. Au Centre régional d’art contemporain de Sète, il y a deux ans, l’exposition avait aussi ressorti la collection de couteaux du monde entier que Valentine Schlegel avait accroché en banc de poissons sur les murs de son atelier. S’y devinait une fascination pour le travail ciselé, les formes fluides et les matériaux durs à la tâche. Autant que son œuvre, brute et raffinée, Schlegel séduit par son art de vivre et de travailler, de modeler les matières, les traditions. En 1978, elle résumait, dans une note au rythme saccadé et comme sculptée à la force du poignet : «Je n’ai pas essayé de faire une œuvre. Il fallait vivre et survivre avec ce que j’avais – un corps solide. Une œuvre liée au corps, l’utilitaire. J’aime le quotidien exceptionnel. Je pars du geste.»