La jeune femme observe, mi-dégoûtée mi-perplexe, l’épaisse couche de peinture bleue qui macule ses doigts. Elle les a salis exprès, les trempant dans l’épaisse flaque de la même couleur qui traîne sur la table devant elle. Le tableau de Tursic & Mille, un des premiers de leur exposition au Consortium de Dijon, peut faire office de portrait de n’importe quel peintre au travail, face à son démon, ces pigments délayés dans l’huile, incontrôlables, collant aux doigts, au corps et à l’âme, entêtants et rebelles aux coups de pinceaux qui prétendent avoir tout pouvoir sur eux. Et pourtant. La peinture fait ce qu’elle veut : elle surgit de nulle part (pas un tube ne figure dans cette toile), vient gâcher l’image autant qu’elle la trace (elle reste collée aux doigts du personnage qui ne sait quoi faire de ce badigeon).
Ida Tursic & Wilfried Mille, tous deux 48 ans, savent, eux, quoi en faire. Ils œuvrent à quatre mains depuis leur rencontre aux Beaux-Arts de Dijon, avec une dextérité dont ils tâchent de se départir. Leurs images (portraits lisses de cover-girls à la peau de pêche, paysages hollywoodiens filtrés par la grisaille du smog) ont pu arborer cette perfection hyperréaliste qui gomme la pâte et la texture picturales et fait prendre la peinture pour une photo. Mais vite, la peinture reprenait le dessus. Le duo remettait volontiers le même sujet sur le métier, peignant cette fois le cliché source tel qu’il avait vieilli, s’était sali, chiffonné, flétri à force de