Menu
Libération
De retour

Au musée d’Orsay, «le Désespéré», chef-d’œuvre de Courbet, exposé pour la première fois en France depuis près de 20 ans

La toile de l’artiste est exposée à Paris à partir de mardi 14 octobre pour une durée de cinq ans, après plusieurs années passées dans les collections nationales émiraties.

L'autoportrait du peintre français Gustave Courbet «le Désespéré» (1843-1845) exposé au musée d'Orsay, à Paris, le 13 octobre 2025. (Ian Langsdon/AFP)
Publié le 14/10/2025 à 9h56, mis à jour le 14/10/2025 à 11h29

L’homme est échevelé, blême, hagard. Il nous fixe, yeux écarquillés, plongé dans une sorte de stupeur mêlée de désespoir. Ce célèbre autoportrait de Gustave Courbet (1819-1877), intitulé le Désespéré, est exposé au musée d’Orsay à partir de ce mardi 14 octobre. Le tableau de l’artiste, chef de file du mouvement réaliste, n’avait pas été montré au public français depuis près de vingt ans, souligne l’institution parisienne dans un communiqué lundi 13 octobre.

Représentant un Courbet au regard halluciné, ce chef-d’œuvre peint en 1844-1845 est prêté à Orsay pour au moins cinq ans par Qatar Museums, l’organisme de développement des musées de l’émirat, qui en a fait l’acquisition auprès d’un propriétaire privé à une date et pour un montant inconnus.

«Une démonstration de maîtrise picturale»

Mondialement connue mais très rarement exposée, cette huile sur toile de petit format (45×54 cm) n’avait pas été montrée au public français depuis 2007-2008, à l’occasion d’une rétrospective consacrée au maître à Paris, New York puis Montpellier. Avant cette grande exposition internationale, il fallait remonter à la fin des années 70 pour trouver trace d’une exposition publique de la toile, réalisée par Courbet alors qu’il n’avait que 25 ans.

«Le Désespéré est unique dans la production d’autoportraits de Courbet parce que c’est le plus halluciné, c’est le plus fort en termes d’expression des émotions et des sentiments», a expliqué Paul Perrin, conservateur en chef d’Orsay. Alors jeune peintre venu de l’est de la France pour chercher le succès à Paris, Courbet s’y représente les traits défigurés par l’effroi, la peur ou la folie, plongé dans un clair-obscur sans équivalent. «C’est vraiment une démonstration de maîtrise picturale», commente le conservateur.

«Dépasser les murs»

Comme d’autres toiles de Courbet, le Désespéré, également appelé Autoportrait de l’artiste ou Désespoir, n’a jamais fait partie des collections publiques françaises et a très longtemps été entre les mains de propriétaires privés. Le père de la psychanalyse française, Jacques Lacan, a ainsi possédé l’Origine du monde, autre chef-d’œuvre de Courbet, qui a rejoint les collections du musée d’Orsay en 1995. L’établissement compte dans ses collections une trentaine de toiles de Courbet, dont Un enterrement à Ornay, restaurée en public cette année.

L’éparpillement de l’œuvre de l’artiste tient beaucoup à ses péripéties judiciaires et politiques. Condamné en France pour sa participation au soulèvement de la Commune de Paris de 1871, Courbet s’était exilé en Suisse pour échapper à la prison et avait dû vendre ses toiles pour payer la lourde pénalité infligée par la justice. Au moment de la grande rétrospective de 2007-2008, le Désespéré était alors la propriété de particuliers et BNP Paribas en avait facilité le prêt.

«A la mémoire» de Sylvain Amic

Les Qataris en ont fait ensuite l’acquisition dans l’optique de l’exposer dans leur futur musée d’art contemporain et moderne, le Art Mill Museum de Doha, dont la construction doit être achevée à l’horizon 2030. Sa venue en France doit beaucoup à Sylvain Amic, nommé à la tête d’Orsay en 2024 et éminent spécialiste de Courbet, grand artisan de la convention de prêt de cette œuvre, signée en avril dernier avec la présidente de Qatar Museums, la fille de l’émir Al Athani Sheykha Al-Mayassa.

Le décès brutal du conservateur, survenu fin août, l’aura empêché d’assister au retour de la célèbre toile. «Il était vraiment enthousiaste à l’idée de rendre à nouveau accessible [cette toile] à nos visiteurs», a déclaré Julia Beurton, administratrice générale de l’Etablissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie. «Nous honorons aujourd’hui sa mémoire en dévoilant le Désespéré au musée d’Orsay, avec la fierté de savoir que cette œuvre voyagera régulièrement entre Doha et Paris», a indiqué de son côté Sheykha Al-Mayassa dans un communiqué.