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Le Libé des historiens

Laurence des Cars : «Avec l’exposition “le Modèle noir”, nous avons eu le sentiment de vivre un moment important»

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La présidente du Louvre revient sur une exposition de 2019 qu’elle a organisée au musée d’Orsay consacrée aux personnes noires dans l’art.
Devant le tableau «Portrait de Madeleine» (1800), de la peintre française Marie-Guillemine Benoist, au musée d'Orsay en mars. 2019. (François Guillot/AFP)
par Anne Lafont, historienne, directrice d’études à l’EHESS
publié le 4 octobre 2023 à 16h12

A l’occasion des «Rendez-vous de l’histoire», qui se tiennent à Blois du 4 au 8 octobre 2023, les journalistes de Libération invitent une trentaine d’historiens et historiennes pour porter un autre regard sur l’actualité. Retrouvez ce numéro spécial en kiosque jeudi 5 octobre et tous les articles de cette édition dans ce dossier.

Aujourd’hui présidente du Louvre, Laurence des Cars a dirigé le musée d’Orsay de 2017 à 2021. Elle revient sur l’organisation de l’exposition «le Modèle noir», qui attira 500 000 visiteurs en à peine quatre mois, en 2019, avec pour thème central la question de la représentation des personnes noires dans l’art.

Qu’est-ce qui vous a décidé à programmer une exposition comme «le Modèle noir» ?

«Le Modèle noir» est le fruit du travail de thèse d’une chercheuse new-yorkaise, Denise Murrell. Lorsque l’idée d’en faire une exposition m’a été proposée, j’ai tout de suite eu l’intuition qu’elle serait autant un choc qu’une évidence. C’était un vrai sujet d’histoire de l’art, qui développait une relecture fascinante d’un certain nombre d’œuvres présentes au musée d’Orsay autour d’une question d’une brûlante actualité. Il y avait là un passionnant défi : celui de tenir l’équilibre entre deux sphères culturelles, la France et les Etats-Unis, qui n’ont pas tout à fait la même histoire, et d’ouvrir le musée à de multiples sensibilités.

Dans quelle mesure était-ce une audace dans la programmation des musées français ?

Le sujet porté par Denise était en très large part inspiré par le champ des black studies américaines. Les enjeux qu’il soulevait n’étaient pas nécessairement ce à quoi, en France, les musées étaient les plus habitués. L’ambition était donc d’adapter un principe d’exposition très américain dans sa définition pour tenter une réponse française, dans tout ce qu’elle peut avoir de singulier.

Sous quel angle l’exposition vous a surprise ? Dans son élaboration, dans sa réception ?

D’abord, par les très nombreux visiteurs qu’elle a su toucher, qui pour beaucoup n’étaient pas ceux fréquentant d’ordinaire le musée. On a pu constater qu’en conviant de nouveaux points de vue, en approchant les images sous un angle inédit, nous pouvions attirer des publics d’une très grande diversité. Nous avons eu le sentiment de vivre un moment important.

Cette exposition a-t-elle transformé votre trajectoire professionnelle ? Et si c’est le cas, de quelle manière ?

Elle a certainement accru ma sensibilité aux grandes questions de société que les musées ne peuvent plus ignorer. Elle m’a aussi confortée dans l’idée qu’il faut savoir oser, suivre ses intuitions, quitte à bousculer. C’est à ce prix que les musées demeurent des institutions vivantes, à l’écoute du monde.