A 50 ans, Gerald Petit a définitivement quitté la catégorie des artistes émergents. Pas encore gagné le statut privilégié des artistes confirmés. Il se tient, sa peinture et sa photographie avec lui, comme au milieu du gué. Les Anglo-saxons lui colleraient l’étiquette de mid-career artist, soit la plus bancale des positions tant elle implique tout et son revers : le meilleur de l’œuvre, prometteuse jusque-là, est-il à venir ? Ou bien n’y a-t-il rien d’autre à en attendre de mieux ?
Gerald Petit fait de cette pression qui pèse sur les artistes quinquagénaires (voire plus jeunes) le cœur de son exposition au Frac Normandie, à Caen, le cœur mélancolique, rêveur, pas désabusé mais un rien dubitatif sur ces rendez-vous de carrière, ces jalons arbitraires au moyen desquels le monde de l’art (les galeries, les collectionneurs, la critique…) évaluent la cote de ses principaux acteurs. Intitulé Ni île, le show en deux salles se veut rétrospectif ou plutôt, introspectif. Gerald Petit montre des pièces de maintenant et des pièces d’avant qui datent d’une période où il était surtout photographe. Celles-là sont montrées, sur des espèces de plateformes s’étendant au ras du sol, en compagnie de petites sculptures, de cahiers de dessins, de travaux divers et variés signés d’artistes, amis de Gerald Petit. Il y a là, entre des dizaines d’autres choses, des polaroïds de Julien Carreyn, des dessins de Clément Rodzielski, une maquette de Xavier Veilhan.
Ni île nie ainsi la solitude du créateur en exhibant les échanges, admirations réciproques, les regards croisés avec ses pairs. Cela nie aussi la compétitivité que dresse entre artistes le système de l’art autant que la pertinence des catégories esthétiques. Les œuvres qui se partagent les socles bas n’ont en effet que peu à voir les unes avec les autres. Et c’est ce chahut formel et chromatique qui emballe et donne l’impression d’être un peu dans un espace protégé où il est permis de tout oser, sans avoir rien à perdre, ni à gagner. Dans la première salle, les toiles récentes de Gerald Petit s’élèvent à des hauteurs nuageuses en dépeignant des cieux brumeux, chargés de bouffées vaporeuses et étincelantes de pigments vifs. Les tableaux absorbent, voire étouffent, le motif du paysage en ne laissant rien filtrer derrière les nuages ni rien percer sous eux. C’est le travail de recouvrement de la peinture à l’état premier en quelque sorte. Elle opacifie le sujet pour se montrer elle-même, avec ses traces de pinceaux, de couteaux, ses dégoulinures, ses raclages. Et il y a dans le face-à-face avec ces fonds nocturnes travaillés, dans leur épaisseur voluptueuse, quelque chose de mélancolique et de buté. Comme si l’artiste, ne figurant rien, mais ne versant pas non plus dans l’abstraction, annihilait (Ni île s’entend aussi nihil) la possibilité de cerner complètement ces tableaux, et par là de fixer sa trajectoire et sa visée.