«L’air de la terre se meut-il plus vite si cette bête meurt ?» interroge David Wojnarowicz en regardant un petit insecte vert sur son avant-bras. Délicatement, la fragilité de l’insecte, son trajet fébrile parmi les longs poils, renvoie à la condition de celui qui l’observe. L’artiste américain, peintre, poète, et photographe de l’East Village new-yorkais, se sait atteint du sida depuis 1988. Autour de lui, ses camarades et amants meurent les uns après les autres. Wojnarowicz, militant contre l’inaction des Etats-Unis face à l’épidémie, sait que ses jours sont comptés, tout comme celle qui le filme, la Française et amie passionnelle Marion Scemama, en 1989. C’est cette tragique mise en abyme que raconte la poignante exposition Summer 89 /A Slow Boat to China à la New Galerie ainsi que le livre A Slow Boat to China. Voilà une histoire d’images, de voyages et d’amitié rare qui rayonne encore aujourd’hui à travers des photographies et un film à la texture brute et à l’énergie fulgurante.
En 1983, Marion Scemama, photographe, et David Wojnarowicz, tout à la peinture de fresques murales, se rencontrent à New York sur le Pier 34, lieu de cruising homosexuel, de squats délabrés et d’ébullition artistique. Les deux entretiendront une amitié orageuse, faite de disputes et de retrouvailles fusionnelles, jusqu’à la mort du second en 1992. L’été 89, ils passent quelques semaines dans les Adirondacks dans le nord de l’Etat de New York. Il reste de ces moments partagés des images fugaces où apparaissent tour à tour le vidéaste François Pain (compagnon de Marion), David la caméra au poing, Marion avec lui dans une barque, ainsi qu’une faune de petits animaux – tortue, lézard mais aussi un chat auquel David Wojnarowicz fait tendrement le leçon en lui montrant un livre sur les fauves. Indifféremment, les amis échangent les appareils, se filment comme pour mieux sonder l’irréversibilité du temps.
Marion filme David tel un noyé magnifique, transpercé par les rayons du soleil. David filme Marion et son amoureux s’ébattre dans l’herbe. Et les Doors entament leur plainte : This is the End. Au sous-sol de la galerie, c’est l’ultime voyage à Death Valley en 1991. Dans un décor aride à couper le souffle, les deux amis s’enferment dans leur solitude, l’ambiance est tendue malgré les pipis dans les rochers et la présence de bestioles bien vivantes. David vient de terminer son autobiographie, il est littéralement au bord du gouffre. «To take a slow boat to China», veut dire mourir, pour les Américains.