C’est l’histoire d’une huile sur toile aux reflets roses et bleus intitulée «Le Père», et peinte par Marc Chagall en 1911. Ce tableau, qui figure parmi les 15 œuvres volées par les nazis puis restituées par la France aux héritiers des familles spoliées, a été vendu mardi soir lors d’une vente aux enchères organisée par la maison Philips à New York, pour la somme de 7,4 millions d’euros.
Or, à l’image des histoires de spoliations juives, celle du tableau de Chagall est peuplée de péripéties. C’est un luthier polonais juif du nom de David Cender qui, en 1928, achète «Le père» pour la première fois. Mais en 1944, contraint de s’installer dans le ghetto de Lodz, le luthier perd tous ses biens, parmi lesquels le tableau du peintre russe. Quelque temps après la guerre, en 1958, le luthier s’installe en France. Or, c’est à cette époque que l’Allemagne (la RFA) lance les procédures d’indemnisation pour les juifs (à travers la loi Brug). David Cender déclare donc le vol du tableau de Chagall, témoignages et descriptions précises à l’appui, mais il meurt en 1966, sans avoir recouvré son bien.
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Entre-temps, l’œuvre réapparaît dans des expositions, si bien que Marc Chagall lui-même, qui y était attaché pour des raisons sentimentales, la rachète (entre 1947 et 1953). Après la mort du peintre, «Le Père» entre dans les collections nationales en 1988, avant d’être affecté au centre Pompidou et déposé au musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris.
Réparation des spoliations
Les choses en étaient là, jusqu’à un coup de fil de l’avocat représentant les petits-neveux de David Cender, ses ayants droit, en 2020. Or, le 25 janvier dernier, la France votait une loi, adoptée à l’unanimité par le Parlement, pour restituer quinze œuvres de familles juives spoliées par les nazis. Un texte «historique» et «une première étape», car «des œuvres d’art et des livres spoliés sont toujours conservés dans des collections publiques», avait affirmé la ministre de la Culture d’alors, Roselyne Bachelot.
Les héritiers de David Cender ont décidé de vendre le tableau, un scénario fréquent «quand une œuvre est restituée si longtemps après», car «il y a de multiples héritiers et l’œuvre ne peut pas être divisée», selon le vice-président de Phillips, Jeremiah Evarts. Cette œuvre avait été peinte par Chagall l’année de son arrivée à Paris. Une toile «rare», car beaucoup avaient été détruites lorsque le peintre quittait Paris pour retourner en Russie en 1914.