Il y a parfois de si spectaculaires ratages, que le cliché de «l’aventure collective», galvaudé aussi bien dans la bouche des politiques que des candidats de Koh-Lanta, se trouve pleinement revitalisé. Cet Idomeneo donné dans le Théâtre de l’Archevêché en est un, massif : une vraie galère, sans mauvais jeu de mots.
C’est une intrigue de palais sur les rivages de la Crète qu’a choisi Mozart pour son premier grand opéra, écrit en 1781, considéré comme son premier chef-d’œuvre du genre, novateur, expressif, donnant grand rôle aux personnages féminins et aux chœurs. Idoménée parti combattre à Troie, laissé pour mort dans les flots déchaînés, rentre finalement au bercail, ayant promis au dieu Neptune de lui sacrifier le premier innocent qu’il rencontrerait en échange de son salut. Pas de chance, c’est son propre fils adoré Idamante qu’il croise, un Idamante tombé fou amoureux d’Ilia, princesse troyenne prise dans les tourments d’un dilemme affreux.
Tout mouvement est fastidieux
L’ouverture un peu terne mettait la puce à l’oreille : au lever de rideau, d’emblée, l’espace est illisible, saturé de paravents mobiles tendus de fils blancs que de pauvres hères font régulièrement tourner, et qui constituent également, une fois assemblés, des promontoires pour les chanteurs. Postés là-haut comme des statues, inquiets – on le voit à plusieurs reprises – de la précarité de leur maintien, ils chantent sans bouger, le regard au loin, avec parfois – car rien n’est assumé complètement dans cette mise en scène – un petit mouvement du bras, ou un regard lancé à un partenaire. Les costumes ne nous aident pas, qui voient les Crétois vêtus de kimonos traditionnels, le chœur d’uniformes militaires modernes, et Ilia d’une robe blanche toute hollywoodienne. Devant une proposition aussi diverse, on se renseigne donc ; on apprend que le metteur en scène Satoshi Miyagi s’inspire de la situation japonaise à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et que les paravents en question figurent voiles et bateaux : très bien. Pour notre part on n’aura vu tout du long que des déguisements dépareillés, et du mobilier d’open space qui a l’air fonctionnel, mais qui grince quand on le déplace. Tout mouvement est fastidieux, toutes les entrées et les sorties sont brouillonnes, le clou revenant à une séquence dansée ahurissante, dans laquelle des militaires feuillus esquissent quelques pas de ballets complètement en dehors du rythme.
Ça sera bientôt fini
Et pourtant, l’affiche était belle : Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion à la fosse et au chœur, Sabine Devieilhe en Ilia, Michael Spyres en Idoménée. Pauvres d’eux, on voudrait à la fin les prendre dans les bras, leur taper doucement sur l’épaule et leur dire que ce sera bientôt fini. Car non, tout prodigieux qu’ils sont d’habitude, ces musiciens ne parviennent pas, sur scène, à faire oublier la faiblesse et le ridicule de la mise en scène. Sabine Devieilhe, complètement figée avec sa chevelure crantée et ses gants blancs, est en sous-régime. Michael Spyres, dont le timbre réchauffe d’abord une première partie monotone, craque après l’entracte. Et que dire de Nicole Chevalier en Electre, qui semble avoir gagné, on ne sait pourquoi, le droit de bouger dans tous les sens et d’en faire des tonnes. L’orchestre pourtant si engagé de Pichon est tout éteint ; seul le chœur, pourtant bien desservi par la mise en scène, réussit, au détour d’un «Pietà ! Numi, pietà !», à nous faire entendre un peu de musique. A la grande aventure de l’opéra, assurément, tout le monde s’est fait éliminer.