Menu
Libération
Master-class

Au Japon, un stage avec le cinéaste Hirokazu Kore-eda : «C’est parce que cela exige des efforts que le cinéma est aussi réjouissant»

Durant sept jours cet été, le réalisateur japonais et d’autres professionnels enseignent à une trentaine d’enfants comment réaliser un film sans l’aide de l’IA, de plus en plus centrale dans l’industrie.
Lors de ce stage gratuit «sept jours de cinéma en été», Hirokazu Kore-eda enseigne à une trentaine d’enfants comment réaliser un film. (Karyn Nishimura)
par Karyn Nishimura, correspondante à Tokyo
publié le 16 août 2025 à 11h12

«Tourner un film, c’est dur, ça exige du temps et du labeur» : à des écoliers nés à l’ère numérique dans un monde où il suffit désormais de demander à une intelligence artificielle (IA) de générer des images, Hirokazu Kore-eda entend apporter par la pratique le plus beau démenti à la passivité devant l’écran: «Créer, c’est suer, mais c’est cela qui est réjouissant.»

Et les enfants le comprennent vite, quand le réalisateur leur demande d’imaginer une histoire, de penser des personnages, de les incarner. Et plus encore lorsque, caméra en main, il faut tourner : choisir les valeurs de plans, les angles de vue, ajuster la lumière, la distance. Ou bien quand il faut tenir de longues minutes un micro au bout d’une perche sans qu’il entre dans le champ. «La distance, l’éclairage, l’orientation de la caméra, on peut utiliser beaucoup de méthodes pour exprimer ce que l’on veut, il faut chercher, essayer», conseille le célèbre chef opérateur de prises de vue Senzo Ueno, dont le père exerçait aussi le même métier.

«Voir des professionnels va changer leur façon de regarder un film»

Organisé par la municipalité de Tokyo avec le Conseil des arts de la ville, ce stage gratuit «sept jours de cinéma en été» s’inscrit dans un programme plus large de formation de futurs créateurs. Des prospectus ont été distribués courant juin dans la plupart des écoles élémentaires de Tokyo et les enfants de 9-12 ans (quatrième, cinquième et sixième années de primaire) ont été tirés au sort parmi les plus de 200 inscriptions reçues.

«J’aime le cinéma depuis que je suis enfant parce que ma mère adorait cela et qu’on regardait beaucoup de films. Et je me souviens qu’à l’école on avait imaginé pour le théâtre une aventure dans les mêmes circonstances que les stagiaires aujourd’hui. C’est ce qui m’a donné envie de créer. Il est important de faire découvrir aux enfants le procédé de fabrication des films, d‘enrichir leurs connaissances cinématographiques, de leur faire se rendre compte par eux-mêmes à quel point c’est difficile», explique Kore-eda.

«Les enfants ont été très surpris par exemple par le métier de bruiteur quand nous les avons emmenés visiter les studios de cinéma Toho. Je pense que voir le travail des professionnels va changer leur façon de regarder un film. Pour nous aussi c’est un bel enseignement que de parler aux enfants de notre métier en des termes qu’ils comprennent», ajoute celui qui met très souvent en scène des adolescents. «Je ne pensais pas qu’une partie des sons étaient enregistrés de cette façon, ni que cela faisait une telle différence d’avoir ou non ces bruits sur les images», confirme un des jeunes participants. «C’est difficile, il a fallu recommencer plusieurs fois les plans, à cause du micro, ou de la caméra», confesse un autre après une heure de tournage.

«Eh oui, c’est pénible, de faire un film, en effet. Il y en a peut-être qui pensent que ce serait plus simple avec l’IA. Mais je leur dis, que c’est justement parce que cela exige des efforts, un travail d’équipe, où l’on confronte les avis, où l’on n’est pas toujours d’accord, où l’on s’engueule peut-être, mais où in fine on crée quelque chose tous ensemble, que le cinéma est réjouissant. C’est ce qui n’exige pas d’efforts qui n’est pas intéressant, c’est cela que j’ai envie de leur transmettre», nous confie Kore-eda.

«Le Japon est en retard dans l’enseignement du cinéma»

Les courts-métrages réalisés par les enfants durant ce stage seront projetés au musée de la Photographie de Tokyo en septembre. «Je pense qu’ils vont porter un tout autre regard sur leurs images en les voyant sur grand écran, ce dont ils n’ont pas l’habitude», souligne le réalisateur. Mais au-delà, le metteur en scène d’Une affaire de famille, palme d’or du Festival de Cannes 2018, espère susciter des vocations : «J’ai le sentiment que le secteur est en danger, et mes multiples activités sont liées à cette inquiétude. Le fait que je participe à ce programme pour intéresser les jeunes au cinéma n’est pas étranger à mon souci d’améliorer le cadre de travail sur mes tournages ou les méthodes à appliquer pour assainir le secteur. Le Japon est en retard dans l’enseignement du cinéma, en dépit du fait que les images nous submergent. Il est essentiel que nous, les créateurs, éduquions les jeunes».

Kore-eda se préoccupe depuis longtemps déjà du devenir du cinéma japonais, où le personnel vieillit sans être renouvelé, en raison de la précarité des professions impliquées et de salaires instables et peu enviables. Connaisseur du monde du cinéma français, il plaide depuis des années pour la mise en place au Japon d’un dispositif d’aides similaire à celui aux intermittents du spectacle en France. Il milite aussi pour la création d’un «CNC (Centre national du cinéma) japonais», inspiré du modèle français, ce afin de soutenir financer en partie les films par le prélèvement d’un pourcentage du prix d’une place de cinéma.