L’aventure du peintre John Sargent à Paris, on dirait presque l’ascension de Bel-Ami. Presque seulement : ni normand ni paresseux ni inculte, le grand jeune homme est un Américain de bonne famille, fils d’un chirurgien de Philadelphie en perpétuelle villégiature européenne. Né à Florence en 1856, polyglotte, ami d’enfance de l’écrivaine Vernon Lee qu’il a connue en Italie, plus tard proche de Rodin, de Monet, d’Henry James, grand lecteur de Baudelaire, il a, contrairement à Georges Duroy, le héros vulgaire et sans scrupule de Maupassant, de la discipline, de la conscience, une technique folle et un talent précoce. Le talent n’autorise pas forcément à mettre les femmes de la haute société dans son lit, comme le fait Georges Duroy, mais, quand on est artiste à cette époque, il permet de les installer sur la toile – ce qui est une façon éclatante d’entrer au salon, comme aurait fait jadis un portraitiste de la chambre du roi.
Les premiers tableaux de l’exposition que lui consacre le musée d’Orsay sont des copies des bouffons de Velásquez, d’un fringant officier Frans Hals. L’artiste semble aussi inspiré tantôt par Piero della Francesca, tantôt par Goya, quand il ne tente pas de mélanger les deux. Son affaire, ce sont les portraits. Très peu de plein air, une toile du Luxembourg, quelques bords de mer, d’ailleurs très réussis. Rodin le qualifie de «Van Dyck de l’époque», de la Belle Epoque donc, celle de la société cosmopolite qui fleurissait dans la capitale et que Proust