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Spectacle

Avec «Koulounisation», Salim Djaferi fait fondre les tabous sous la langue

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Dans un premier seul en scène drôle et percutant, le comédien se livre à une exploration sémantique de l’histoire coloniale, où les mots révèlent des pans entiers d’épisodes oubliés. Au théâtre de la Bastille.
Créé en 2021 à Bruxelles, le spectacle voyage en Europe depuis maintenant trois ans. (Photo/Thomas Jean Henri)
publié le 9 mai 2024 à 13h04

Il y a des mots qui manquent dans chaque langue et dont l’absence forme comme un gouffre dès lors qu’on s’en approche. Ils ne manquent pas par hasard, par distraction, parce que la communauté des humains de tel pays les aurait oubliés. Le mot «colonisation» fait partie de ces intraduisibles dans certaines langues. Il n’existe pas en arabe. Ou plutôt il existe beaucoup de manières de dire la colonisation depuis qu’elle a eu lieu, et à chaque fois le choix du terme ou néologisme détermine le point de vue et l’histoire singulière de ceux qui le choisissent, lui, plutôt qu’un autre. Bon, dit comme ça, Koulounisation, ce premier spectacle de Salim Djaferi semble aride. Alors que ce seul en scène sous forme d’enquête linguistique – non sans échos avec le travail de la philosophe et académicienne Barbara Cassin, en ce qu’elle consacre sa vie à la question des intraduisibles – est aussi drôle que captivante et incarnée. On cherche un mot et ce sont des pans entiers de vies et d’épisodes historiques oubliés qui surgissent. La vie du grand-père de Salim Djaferi par exemple, qui, stupeur, s’appelait «Ahmed Ould Ahmed Ould Ahmed Ould Ahmed», ce que les Français colonisateurs trouvaient un peu long à dire, ils l’ont donc renommé selon son lieu de naissance, alors même qu’ils modifiaient également le nom de toutes les villes et les rues. L’homme originaire de Sidi Djilla