Dans la Jeunesse de Picsou (1992), le canard écossais à la recherche de la fortune finit par se retrouver près de Dawson, dans le Yukon, territoire du nord du Canada, pour chercher de l’or. Là-bas, dans des conditions très rudes, il deviendra le Balthazar qu’on connaît, celui qui renonce à tout, et notamment à l’amour et à la sociabilité, pour devenir l’homme le plus riche du monde.
Carcajou, publié chez Sarbacane, avec Eldiablo au scénario et Djilian Deroche au dessin, ressemble à une relecture, sans le dire explicitement, de l’œuvre de Don Rosa. Même ambiance de vallée perdue, de pins colorés, de rivière qui serpente avec un homme, Gus, moitié indien, moitié blanc, qui cherche des pépites. Comme Picsou, il se retrouve à affronter les éléments et des animaux hostiles, en l’occurrence un glouton (appelé aussi… carcajou), dans un combat à mort. De la fourrure du mammifère vaincu, il se fait un manteau ou plutôt une seconde peau. Mais ses principaux ennemis sont, à l’instar du héros de Disney, les hommes, les Blancs, qui ne le comprennent pas, le rejettent et en ont peur.
A Dawson, l’adversaire était un tenancier de saloon arnaquant les orpailleurs et les trappeurs. A Sinnergulch, petite ville d’Alberta où se déroule l’action de la BD, c’est Foxton, un bourgeois local qui tente de racheter toutes les terres à bas prix pour installer des puits de pétrole, un or noir qui rapporte encore plus que le jaune. Des paysages aux bagarres jusqu’à la tenancière du saloon de Carcajou, qui évoque la fameuse Goldie, plusieurs scènes renvoient directement à la Jeunesse de Picsou. L’histoire s’en éloigne ensuite par les choix du héros. En aucun cas, il ne souhaite partir de sa vallée ni devenir riche, préférant tout boire. Sur son territoire, il a créé son Arcadie, en harmonie avec la nature. C’est la vie dans les bois, la vraie, qu’on ne devine qu’en creux, en opposé de celle, triste, alcoolisée et violente, des habitants de Sinnergulch. On s’éloigne alors du grand roman américain, pour quelque chose de plus intimiste, trouble, tragique, porté par un dessin entre ligne claire et inspiration comics qui sait alterner entre pleines pages de paysages presque lyriques et cases plus vives où se déploie une action toujours plus dramatique. On n’est pas dans un Disney, cela ne se finit pas bien.