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Libération
Témoignage

François Morel: «Sempé arrive à nous faire voyager dans la tête des personnages»

Le comédien, qui poursuivra à la rentrée sa tournée de «Tous les marins sont des chanteurs», est passionné par l’artiste depuis l’enfance. Il raconte comment la poésie qui se dégage de ses dessins l’a toujours marqué.
Jean-Jacques Sempé en 2005. (Olivier Roller/Libération)
publié le 12 août 2022 à 19h46

«Je suis un grand fan de Sempé depuis plusieurs décennies. Dans les années 70 j’avais une dizaine d’années, mon père avait une 4L et quand il faisait le plein, la station essence nous donnait des points, et au bout d’un certain nombre de points on recevait un livre de Sempé en format poche. J’adorais ça mais je ressentais une certaine frustration car il était marqué sur ces livres que le format poche ne permettait pas de publier les plus grands dessins de Sempé. Alors dès que j’ai gagné ma vie je me suis précipité sur ses albums.

«Ce que j’aime chez lui c’est que ses dessins font rêver. Il parvient à nous faire imaginer ce qui se passe avant la scène du dessin et ce qui va se passer après. Il arrive à nous faire voyager dans la tête des personnages. Il y a un de ses dessins que j’adore : on voit un enfant dans une décharge publique au volant d’une épave et dans sa tête, il est en train de faire les 24 Heures du Mans.

«Il y a trois jours j’ai pris un cours avec une amie prof de chant. Elle a un calendrier avec un dessin de Sempé pour chaque jour. Ce jour-là, on voyait une femme, la trentaine, avec son petit garçon. Elle le regarde et imagine ce qu’il sera plus tard, un homme très beau avec un costume impeccablement coupé. Le dessin d’à côté la montre trente ans plus tard : son fils a grandi, il n’est pas du tout ce qu’elle avait imaginé et du coup elle repense au petit garçon qu’il était mais embelli par son souvenir. Mon amie m’a dit : “Tout est dit.” Et elle avait raison.

«J’ai tous ses albums chez moi. On s’est vu plusieurs fois, on avait le même éditeur. On a déjeuné deux ou trois fois ensemble dans ce cadre. Et puis il allait au théâtre, la première fois que je l’ai vu c’était après un spectacle de Jérôme Deschamps, après il est venu où je jouais, à la Porte-Saint-Martin, au théâtre du Rond-Point. Il parlait beaucoup de sa difficulté à dessiner, à trouver la bonne idée de dessin. Il avait deux maîtres dans le dessin : Chaval et Bosc. A l’occasion d’un de nos déjeuners, je lui ai raconté une histoire que venait de me rapporter mon ami Olivier Saladin. Il était allé au musée du Havre voir une expo d’Eugène Bourdin et il y avait deux femmes, vieillissantes et emmitouflées, devant un tableau, l’une d’elles a dit : “C’est beaucoup trop serein pour moi.” Cela lui avait beaucoup plu. Quelques semaines plus tard, j’ai vu qu’il avait représenté cette scène dans Paris Match. J’étais assez fier !

«Ce qu’il y a de formidable dans ses dessins, c’est que le rire n’est pas obligatoire, il y a de la poésie, de l’étrangeté. Dans les années 50-60, quand il n’y avait pas de dialogue ou de pensée écrite, c’était marqué «sans légende», c’est beau sans légende, aujourd’hui, on laisse un blanc.

«Pour moi, c’était le dernier représentant des dessinateurs d’humour pur.»