Raconter l’histoire de Jérusalem, c’est raconter une certaine histoire de l’humanité. L’ouvrage prend pourtant le temps de présenter son personnage principal – un olivier, dont la graine a germé sur le mont du même nom, et qui fait face à la ville. Des planches larges, dessinées par Christophe Gaultier et colorisées par Marie Galopin, offrent une bouffée d’air frais, une dernière respiration avant une plongée vertigineuse dans quatre mille ans d’histoire et l’exploration d’un mystère : comment ce lieu, perdu au milieu des montagnes, au climat rude, sans source abondante, à l’écart des grandes routes commerciales, est-il devenu le «nombril du monde», selon l’expression de l’historien Vincent Lemire, qui a scénarisé ces 253 pages ?
Apogées et décadences
Tout commence par un bloc de calcaire affleurant d’une colline, peut-être à la forme particulière, symbolisant le point de contact entre la terre et le ciel. S’agissait-il d’un rocher sacrificiel ? Selon la Bible, c’est là où Abraham aurait tenté d’immoler son fils, avant que Dieu n’arrête son bras. Le roi David fit transporter l’arche d’Alliance sur ce mont devenu un lieu de culte monothéiste. Son fils, Salomon y bâtit un temple qui devint ainsi l’endroit le plus sacré du judaïsme, protégeant ce qui est connu désormais comme la pierre de la Fondation. S’ensuit une période de prospérité, avant que le temple ne soit détruit par le Babylonien Nabuchodonosor, en -586 avant notre ère.
Et ainsi de suite. En dix chapitres, la bande dessinée expose ces cycles de vie et de mort, de guerres et de paix, d’apogées et de décadences. Jérusalem tombe et se relève de siècle en siècle. Chaque période de tolérance porte en elle sa radicalité, et tous ceux qui ont voulu le contrôle exclusif de la ville ont fini par la perdre. Dans ce lieu où se rencontrent les trois grandes religions monothéistes, celles-ci se confrontent, se copient et se réinventent avec les outils de leur époque. Des témoins interviennent à chacun de ces moments : Aristée, un juif d’Alexandrie ; Flavius Josèphe, qui s’émerveille du temple bâti par Hérode ; l’anonyme de Bordeaux, qui livre le plus ancien récit d’un pèlerinage chrétien dans ces murs ; Al-Maqdisi, natif de la cité : «A Jérusalem, rien n’est plus abondant que l’eau et la prière», pendant l’une des périodes de prospérité, au Xe siècle, jusqu’à nos jours, où le chapitre «L’impossible capitale» conclut le récit.
Trempe
Vincent Lemire, directeur du Centre de recherche français de Jérusalem, travaille sur la ville depuis vingt-cinq ans. Il est spécialiste, entre autres, du quartier maghrébin, créé par Saladin après les croisades au pied du mur des Lamentations, et rasé lors de la conquête de la ville par Israël en 1967, pour laisser place à l’esplanade que l’on connaît aujourd’hui. Il fallait bien un chercheur de cette trempe pour trouver le point d’équilibre entre rigueur scientifique et récit historique, dont on ressort aussi inquiet qu’émerveillé : l’humanité est-elle condamnée à errer entre abîmes et sommets ?