Pour un auteur venu de l’underground et du comics autoproduit (le génial Blammo, édité au mitan des années 2000), on pouvait ressentir une certaine frustration à ce que Noah Van Sciver, intouchable lorsqu’il donne vie à des personnages de fiction (Fante Bukowski, le Bord du gouffre) peine à frapper aussi fort avec ses récits autobiographiques. Une poignée de titres morcelés de façon très aléatoire sur des publications aux formats dépareillés (Mon aventure torride, Pour l’amour de l’art, 133 rue de l’arbre mort), effectués de toute évidence sans la moindre contrainte ni pression mais manquant curieusement de substance. De petites histoires agréables, grinçantes, éparpillées au jugé et vite oubliées, malgré un talent évident pour l’autodépréciation, Van Sciver ne s’épargnant absolument rien – physique ingrat, famille fauchée et dysfonctionnelle, inadaptation sociale maximale, humiliations publiques terminales.
Apocalypse au coin de la rue
Série découverte sous forme de comics avant sa parution en album, Maple Terrace vient admirablement corriger le tir, prolongeant le modèle – le dessinateur aborde comme toujours une courte période de son enfance, ici celle où, pré-adolescent dans une famille toujours aussi nombreuse et sans le sou du New Jersey, il découvre les comics de super-héros et plus précisément Spawn de Todd McFarlane – mais donnant au récit une ampleur inédite.
Dans sa construction, enchevêtrement de gaffes atroces qui vont valoir au jeune Noah une succession de confrontations et menaces, qui se lit comme une version white trash et âpre des récits adolescents à la Stephen King. Dans son incarnation, avec une galerie de personnages qui réussit à prendre corps en trois répliques, là où auparavant on avait l’impression d’avoir à faire à une masse informe, grotesque et lointaine, malgré l’aspect pourtant très intime de l’affaire. Et surtout dans sa réalisation, Van Sciver donnant cette fois beaucoup plus d’espace et de respiration à ses catastrophes ordinaires. Les dernières planches où il met en scène une apocalypse au coin de la rue (anniversaire qui vire au fiasco sous l’orage, gâteau qui dégouline, cheval fou, apparition divine) sont, à ce titre, assez redoutables.