Toujours prompts à célébrer le moindre anniversaire d’un héros, d’un auteur ou d’un illustre personnage, les éditeurs de bande dessinée n’allaient pas laisser filer les 40 ans de l’élection de François Mitterrand sans livrer un petit album. Deux livres avaient accompagné les 20 ans de sa disparition. Cette fois, on n’en trouve qu’un au programme, mais conduit par un duo de briscards : le documentariste et historien Patrick Rotman à l’écriture, et Jeanne Puchol au dessin, autrice des grandes années de Futuropolis. Un petit mot chafouin d’abord sur l’absence de tout appareil critique. Pour un ouvrage obsédé par les notes volées, les documents glissés en loucedé et construit autour des confidences d’un Mitterrand fatigué qui s’épanche auprès d’une journaliste sur les souterrains de la IVe République, il est quelque peu regrettable de laisser le lecteur seul maître pour décider ce qui relève du témoignage véritable de la pure élucubration.
Servies par un dessin plein de savoir-faire mais engoncé entre des placards de textes nécessaires à la bonne compréhension du contexte, ces mémoires d’outre-tombe se lisent comme un thriller politique visant à faire la lumière sur l’attentat de l’Observatoire, attaque qui a visé Mitterrand en octobre 1959 et très probablement commanditée par lui. Mais le vieux sphynx préfère s’attarder d’abord sur deux autres affaires intrinsèquement liées au dit événement. Mitterrand et ses ombres s’ouvre donc sur l’immédiat lendemain de la débâcle de Dien Bien Phu et la fuite de notes du conseil de défense qui agite le Tout-Paris, avant de rebondir sur l’affaire dite du bazooka où une attaque manquée contre un gradé français en Algérie lie les destins de Mitterrand, alors à la Justice, et du futur Premier ministre Michel Debré. Si le portrait de la scène politique, médiatique et militaire des années 50 est richement détaillé, on ne peut s’empêcher de rester interdit devant ce livre formellement très classique mais dont le récit est conduit, organisé et mis en scène par son propre sujet, disparu il y a un quart de siècle.