«Quand on rentre dans la dialectique “je suis un artiste, je veux faire une œuvre qui me rende célèbre et me fasse éternel”, on est foutu parce qu’on se met en position de phallus et qu’il n’y a rien de pire !» On évitera autant que possible les grandes formules qu’il vomissait, mais Nikita Mandryka, mort dimanche à 80 ans, était un grand de la bande dessinée, un de ses beaux esprits libres. A la fois pour l’œuvre formidable qu’il laisse en tant qu’auteur, à commencer par ce Concombre masqué et immortel, et pour son legs révolutionnaire en tant qu’éditeur et rédacteur en chef. Car on mesure mal aujourd’hui le choc immense qu’a représenté, en mai 1972, le geste sécessionniste de Mandryka et des pistoleros Claire Bretécher et Gotlib lorsque, sans coup de semonce, ils lâchent le paquebot Pilote pour se précipiter dans un fragile canot créé de leurs mains : l’Echo des savanes. Claquer la porte de la maison Goscinny fut un geste blasphématoire, que Mandryka justifiera plus tard par un grand ras-le-bol – marre de faire plaisir aux autres, marre de s’inscrire dans une validation collective – et une profonde envie de faire par lui-même. L’Echo, dit-il, «c’est un canard comme ceux de l’underground américain où se réunissent plusieurs personnes qui font ce qui leur plaît, qui prennent leur pied à faire LEUR truc». Pas de censure, pas de chef, rien que des auteurs.
Une vie faire de création libre et de dettes
La revue ouvre les vannes, donne des idées à toute une génération de dessinateurs qui se