«On a perdu une immense personne avec la mort de Sempé. Quelqu’un qui a influencé plusieurs générations de dessinatrices et de dessinateurs. Il était venu à ma première expo, en 1989, dans une petite galerie d’art du Marais tenue par des amis à lui. Moi qui avais grandi avec ses couvertures du New Yorker, j’étais pétrifié. Il faisait vraiment partie de mon panthéon personnel avec Edward Gorey et Maurice Sendak, il était à mes yeux un personnage quasi irréel et il était là, devant moi à scruter mon travail, alors que je commençais tout juste à dessiner. On s’est recroisés souvent par la suite. Nous ne nous connaissions pas très bien mais il nous arrivait de nous retrouver au même endroit à l’heure du déjeuner, au restaurant Chez Fernand à Montparnasse. A une époque je dessinais au trait, j’avais peut-être l’espoir d’approcher mes trois idoles. Quand je suis passé au fusain et à des techniques qui travaillaient davantage la densité et la lumière, j’ai sans doute été davantage influencé par Tardi.
«Sempé a su créer ce trait magique qui lui permettait de dire beaucoup avec peu. C’est un don très rare qu’il maîtrisait totalement. Cette capacité à dessiner le bonheur avec beaucoup de réserve et d’élégance, sans jamais basculer dans la préciosité et le ringard.
Edito
«S’il plaisait autant aux Américains, avec ses couvertures du New Yorker, c’est parce que ses dessins sont universels, surtout pour un public new-yorkais déjà très cosmopolite. Avec des outils très simples, il savait partager des choses qui nous parlent à tous. Il y avait dans ses dessins la volonté de capter un instant de l’expérience humaine et de le partager dans son universalité.
«Je le voyais moins ces derniers temps, je savais qu’il avait des ennuis de santé, et puis Chez Fernand a changé de propriétaire, nous avons perdu l’habitude de nous y retrouver.»