Des plans serrés, une caméra mouvante et à l’épaule qui capte le grain de toutes sortes de peaux exclusivement féminines, âpres, pas apprêtées, sans filtre numérique. Des peaux comme on n’en voit jamais au cinéma, et en tout cas dans aucune fiction. Et parmi ces visages, un regard observateur, déterminé et un peu apeuré, qui tranche dans le vif : celui de Fanni, incarnée fantastiquement par Mélanie Thierry. Où est-on ? Pris dans la foule, dans les bruits, le spectateur prend néanmoins conscience que Fanni se fait interner à la Salpêtrière, dans le service de 500 malades plus ou moins «tranquilles» dira Jabotte, intendante en cheffe (Josiane Balasko, géniale, à qui il suffit d’un abaissement des commissures de lèvres pour laisser apercevoir un affolement des pensées). Fanni, donc, s’infiltre dans ce dédale aux règles précises quoique inconnues dans l’espoir de retrouver sa mère, peut-être l’une d’elles, et l’en faire sortir. Sa quête n’apparaît dans sa précision que progressivement, au gré de dialogues économes, acérés, qui distillent l’air de rien l’essentiel, sans jamais sembler utilitaire, libérant ainsi le film, son image et son montage d’un fil narratif unique.
Entrelacement et consistance
Un événement agite tout ce monde et en particulier Jabotte qui doit recevoir pour l’occasion une décoration : l’imminence du bal annuel, surnommé «le bal des folles» qui autorise l’ouverture des portes à toutes sortes de notables. Qui dit ouverture des portes laisse planer l’espoir de fugue pour celles qui en ont les moyens. «Nous, dehors, on a peur, on a faim, on sait jamais où crécher», soufflera Emilie, interprété par Dominique Frot, détonante, qui ne cesse d’inventer et de peupler le film y compris hors champs, par ses incantations vocales. La vocation de l’asile est aussi de masquer la misère.
L’extraordinaire du film d’Arnaud des Pallières, qui signe ici son huitième long métrage (dont le mémorable Michael Kohlhaas d’après Kleist en 2013), tient en grande partie à l’engagement des comédiennes qui développent chacune un univers, rendent vivante une obsession, existent pleinement même lorsqu’elles ne sont pas à l’écran. Chacune fait exploser la notion même de second rôle grâce à l’entrelacement et la consistance de toutes les microfictions auxquelles elles donnent corps.
Personnage nimbé d’une énigme
Parmi elles, un peu à part, Hersilie Rouÿ (fabuleuse Carole Bouquet), internée d’office par ses frères pour capter son héritage, célibataire revendiquée, reine déchue parmi les pauvres, qui ne s’en laisse pas conter et à qui incombe d’apprendre à ses congénères la quadrille. Obstination de celle arrimée à faire valoir ses droits, trouver du papier, écrire, faire passer son courrier, bien placée pour savoir qu’ici, dans l’immense parc de la Salpêtrière, les fausses folles comme elle mais qui le deviennent à force d’enfermement, sont légion. Arnaud des Pallières, qui cosigne le scénario avec Christelle Berthevas, l’a réinventée grâce à ses mémoires publiées au bout de quinze ans de réclusion, et qui furent à l’origine d’une modification de la loi de l’internement par tiers. Et Marina Foïs, la Douane, l’infirmière qui sadise les recluses ? Elle excelle à terrifier, tout en nimbant son personnage d’une énigme. Aux antipodes, Camille (Yolande Moreau), dite Camomille, enfermée dans un rêve, que Fanni veut identifier comme sa mère. Mais Camille n’a pas eu d’enfants…
Une autre des clés de la réussite de Captives tient en la manière de filmer l’époque comme du présent, la canicule comme si c’était hier, grâce à certains codes en général dédiés au documentaire – la caméra de David Chizallet semble libre de capter l’imprévu. Il faut remonter à Van Gogh par Maurice Pialat en 1991 pour dénicher un film en costumes à ce point charnel, sur lequel la reconstitution, propre au genre, pèse le poids d’une plume.