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Interview

«Ashkal» : «Les Jardins de Carthage, un rêve qui n’a pas abouti»

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La Tunisie après Ben Alidossier
Derrière l’enquête menée par deux policiers dans un quartier singulier de Tunis évoquant l’ancien régime, le cinéaste Youssef Chebbi explore les fragilités et incertitudes de la Tunisie. Une plongée esthétique sombre au service de questionnements sur les soulèvements populaires, la religion, la politique.
Youssef Chebbi à Paris, le 23 janvier 2023. (Zoé Chauvet/Libération)
publié le 24 janvier 2023 à 21h49

«Ashkal», en arabe, signifie «formes, motifs» – plus exactement «le contour de la chose», sa forme extérieure. Il peut ainsi désigner aussi bien un bâtiment qu’une silhouette, une ombre. On ne pouvait rêver terme plus précis pour décrire l’incroyable premier long métrage de Youssef Chebbi, tout en formes géométriques irréelles se découpant sous un ciel d’ardoise, silhouettes furtives plantées immobiles dans le noir, corps qui se désintègrent derrière les flammes et dont on ne devine plus que de vagues contours. Des ombres qui peuplent l’enquête glaciale et passablement effrayante de deux flics, Fatma et Batal, sur un corps calciné retrouvé dans les Jardins de Carthage, quartier de Tunis laissé à l’abandon, entrelacs d’opulents immeubles lancé sous le régime Ben Ali dont la construction, stoppée net par la révolution de 2010, reprend péniblement. Vite vue, vite réglée, l’affaire est, malgré quelques incohérences, consignée au registre des suicides.

Jusqu’à ce qu’un deuxième corps soit retrouvé calciné, toujours au même endroit. Et que tout bascule dans un film décharné, aux frontières du réel, récit d’un bout de société en friche, entre nœuds politiques et échappatoires mystiques, dans un Tunis de science-fiction, où des moutons dépenaillés viennent brouter au pied de bâtiments de luxe