Cannes, bilan d’étape : dans quel état erre-t-on ? Il n’y a plus d’heure, plus de saison ma bonne dame, et à trois jours de la fin de la compète, plus de boussole pour les critiques qui constatent chaque jour une polarisation extrême des positions sur les films. Inversion totale des valeurs entre pièces montées algorithmiques encensées pour leurs arguments de machines de guerre et petites formes de cinéastes hors-piste mises en sourdine par la bruyante concurrence. Divorce consommé entre le public et la critique, chacun dans son couloir de nage. L’un se pâmant devant la comédie musicale mexicaine transgenre de Jacques Audiard et pas loin de donner la palme à l’éclaboussant The Substance. L’autre prête à pardonner les sorties de route d’augustes cinéastes qui monologuent à coups de wannabe chefs-d’œuvre, politique des auteurs en bandoulière ou mauvaise conscience à renier les héros du passé.
Le silence de croque-morts des séances de presse à l’aube (où l’on serait bien en mal de prendre le pouls du potentiel feel-good ou hilarant d’une œuvre projetée sous vide entre ronflements et journalistes à calepins) tranche avec les hourras et montées d’extase des spectateurs qui ressortent du grand théâtre Lumière et des projos de gala comme sous amphétamines. Le Festival semble avoir atteint un grand degré d’ingénierie dans la création de bulles positives, des œuvres comme des manèges à sensation à côté desquelles l’ergotage critique ne peut que passer pour peine-à-jouir, l’enthousiasme a toujours raison. Dans nos propres rangs, on n’y comprend plus rien, des cinéastes habituellement chéris nous laissent sur le bas côté (Miguel Gomes, David Cronenberg), ceux à qui l’on ne donnait pas l’heure nous rallient à leur cause (Sean Baker). A ce stade des choses, Anora semble être le seul film qui met tout le monde d’accord.