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Libération
A la barre

Au tribunal de Paris, Netflix et «Sous la Seine» comparaissent pour parasitisme

Netflix a fait face à une accusation de parasitisme, notion proche du plagiat et de la concurrence déloyale, au tribunal judiciaire de Paris ce jeudi 14 juin pour son film «Sous la Seine». Si la plateforme met en avant les clichés de film de genre, le plaignant assure que son idée a été copiée. Le délibéré sera rendu le 3 juillet.
Photo du tournage de «Sous la Seine»`. (Niete Rodriguez/Netflix)
publié le 14 juin 2024 à 22h24

«On va manquer de place», fait remarquer le juge des référés ce vendredi 14 juin. Dans la petite salle d’audience du tribunal de Paris, les sièges réservés au public sont quasiment pleins, visiblement pas une habitude. L’affaire dont il va traiter aujourd’hui a rameuté une grosse dizaine de curieux et de journalistes, déjà bien trop nombreux pour les quatre bancs de la salle. La curiosité de l’affaire explique ce petit succès : Vincent Dietschy, cinéaste accuse Netflix d’avoir utilisé son idée de scénario pour leur nouveau film, Sous la Seine. Ce vendredi, lui et ses avocats plaident afin que le film signé Xavier Gens, actuellement numéro 1 de la plateforme, soit retiré du catalogue du géant du streaming.

La séance a été l’occasion de débats houleux entre les deux parties, s’invectivant mutuellement de «malhonnêteté» et de «désinvolture». D’une part, Vincent Dietschy avait élaboré un projet de film sur un poisson d’eau douce, un silure, transformé par des mutations génétiques et mangeur d’humain, qui fait apparition dans les eaux de Paris en pleine manifestation sportive. Il n’était pas parvenu à le faire financer. De l’autre côté, Netflix a diffusé le 6 juin sur sa plateforme un long-métrage très similaire dans son principe et son déroulé. Dans Sous la Seine, c’est un requin mutant qui intéresse Sophia (Bérénice Bejo), scientifique ayant vécu un drame lors d’une expédition en mer, et Adil (Nassim Lyes) policier de la brigade fluviale. Lilith, le requin mutant en question, a fait son nid dans les réservoirs d’eau de Paris, et croque les riverains, pendant les championnats de triathlon, la «vitrine des Jeux olympiques».

«Ressemblances ahurissantes»

Vincent Dietshcy poursuit donc Netflix pour «parasitisme». Cette notion proche du plagiat et de la concurrence déloyale a été résumée par la Cour d’appel de Nancy en 2001 comme l’usurpation du travail d’autrui» notamment en copiant sciemment «sans apport nouveau, certaines idées relevant d’une créativité particulière». En avril, Vincent Diestchy nous expliquait avoir entamé cette procédure contre, non seulement la plateforme, mais aussi les producteurs Edouard Duprey et Sébastien Auscher, ainsi que Laurent Grégoire, patron de l’agence Adéquat. Selon lui, il aurait rencontré l’agent lors du festival de l’Alpe d’Huez en 2015 et lui aurait envoyé une version de son projet de Silure, alors que les deux producteurs auraient eu l’idée de Sous la Seine lors de ce même festival. Durant l’audience, Me Castelneau fustige un procédé «typique du milieu du cinéma où tout circule».

Pendant les débats, l’avocate soumet au juge un tableau élaboré avec Diestchy mettant en avant «les ressemblances ahurissantes» entre les deux scénarios. Le document recoupe 135 «points de contact» entre les deux films (celui qui existe et celui qui n’a jamais vu le jour), et est également résumé dans une vidéo produite à l’attention du juge et diffusés lors de l’audience.

De l’autre côté de la table, Me Charles Bouffier, représentant les intérêts de Netflix, explique avoir tiqué sur un mot dans les conclusions rendues par les avocats de Dietschy : «désinvolture». Pour lui, «toute la théorie des demandeurs est basée sur une idée, celle que les producteurs du film Sous la Seine auraient eu accès au traitement de Dietschy», qui n’est cependant pas prouvé ici, selon lui. «Dans les droits d’auteur, on parle de rencontre fortuite entre deux idées similaires. Or les idées ne sont pas protégées par la loi», martèle-t-il.

L’avocat estime faire face à un litige reposant sur l’essence du film de genre, qui véhicule intrinsèquement certains clichés et ressorts scénaristiques. Qui serait alors surpris de voir dans deux films de requins différents une figure d’autorité, comme un policier, ou encore un long suspens lors de la mort de la première victime ? Cependant, il reconnaît une idée de départ commune entre les deux films, celle d’un monstre aquatique en milieu urbain, qui n’est «pas si originale».

«On n’a pas encore entendu parler de Steven Spielberg dans cette histoire !»

Afin d’illustrer son propos selon lequel les films de genre présentent tous des «points de contact», il soumet au juge un nouveau tableau élaboré par ses soins. «J’y ai comparé des points de contact entre Silure, Sous la Seine et les Dents de la mer», explique-t-il, soulignant que cette comparaison est tout aussi prolifique que celle opérée par Dietschy. Il ironise : «On n’a pas encore entendu parler de Steven Spielberg dans cette histoire ! Peut-être qu’il est plus à l’aise avec la notion de fond commun du cinéma.»

Lors de l’audience, Dietschy a plaidé devant le juge l’originalité de son projet, selon lui bien plus engagé politiquement que celui de Netflix. «Je voulais que mon scénario s’éloigne des clichés […] alors que le requin en véhicule tellement.» Il se remémore : «Les matériaux avec lesquels j’ai construit mon film, je les ai puisés dans ma vie, il s’agit d’une histoire d’amour, la mienne, d’un silure, un poisson que je connais bien en tant que pêcheur.»

A la sortie de l’audience, il commence par s’excuser : «Je suis désolé, je n’ai pas dormi de la nuit, je ne suis pas très clair. […] De mon film, on se serait souvenu d’un poisson, d’un silure… Alors que leur requin sera vite oublié», affirme-t-il, avant de se désoler : «Tout est personnel dans mon projet, comment ne pas être triste ?» Pour lui, cette audience est une énième preuve de son combat le plaçant en David face à Goliath. «Les gros écrasent les faibles», résume-t-il. Le délibéré sera rendu le 3 juillet.