A rebours de ce qui a été dit pendant des années sur l’uniformité plastique du manga et des animés, qui déclineraient à l’infini les mêmes designs, il faudrait saluer ici l’incroyable capacité des studios d’animation japonais à se fondre dans un trait singulier. Bien que réalisé par un studio indépendant qui fait ses premières armes, Look Back stupéfait par sa façon de s’approprier et d’habiter les lignes tracées auparavant par le mangaka Tatsuki Fujimoto. C’est impressionnant et assez beau de retrouver à l’écran ces étranges visages poupons creusés de cernes. De voir traduit l’essence de son dessin en une fragilité de corps qui semble empruntée à Egon Schiele et une «fuck you attitude» venue de la new wave du manga, Katsuhiro Otomo en tête. Magie de la rencontre d’un geste éminemment personnel – le dessin – et d’un processus industriel, reproductible à la chaîne – l’animation.
Vies solitaires soudain illuminées par la complicité
Pour autant, on ne donnait pas cher de cette adaptation de Look Back. D’abord parce que le manga d’origine est court et que son matériau semblait peu adapté à un long métrage. En une centaine de pages tendues, Fujimoto y racontait l’émergence d’une puissante amitié entre deux lycéennes qui vouent leur vie à la bande dessinée, jetant leur âme dans les pages qu’elles noircissent compulsivement. C’était l’histoire de deux vies solitaires soudain illuminées par la complicité. L’histoire d’une joie fragile, temporaire et éternelle. La brièveté du récit était pour beaucoup dans son impact. Plutôt que de forcer les choses, de diluer pour tenir une heure et vingt minutes, le Studio Durian contourne le problème. Il s’agit ici d’un moyen métrage d’une heure, les contraintes liées à l’exploitation en salles n’étant pas la priorité de la plateforme qui l’a commandé – ce qui explique son exploitation événementielle en France, le diffuseur Eurozoom n’obtenant le droit que de diffuser le film pendant deux jours mais sur plusieurs centaines d’écrans.
La question du format réglée, restait un autre problème de taille : même si le manga jouit d’une très belle réputation, qui en faisait un candidat naturel à une adaptation ciné, son langage repose sur un travail de la répétition, sur une série de plans fixes rejoués en boucle montrant l’acharnement et le temps infini que ses deux protagonistes passent à leur table à dessin. Silhouettes emmitouflées dans un sweat-shirt, captées de dos. Pour Fujimoto, ce récit intime tout en intériorité était un moyen de montrer qu’il pouvait être autre chose que le dessinateur de l’hyper-cinétique Chainsaw Man.
Solution élégante
Pour le jeune cinéaste Kiyotaka Oshiyama, nier la répétition de ces plans fixes, c’était passer à côté d’une des images clés du manga. Mais se coller à une mise en image trop fidèle, revenait à condamner le mouvement. Pour son premier long, cet animateur clé sur le Vent se lève qui s’est illustré comme réalisateur de plusieurs épisodes de séries mémorables (Space Dandy, Devilman) trouve une solution élégante : mettre en images et en mouvement les bandes que dessinent Fujino et Kyômoto. Sitôt après avoir installé son ambiance réaliste, le film décroche en entrant dans un strip minimaliste de Fujino, où la naïveté de couleurs vives et joyeuses permet d’emmitoufler un gag gore. Plus tard, les BD de la recluse Kyômoto donnent naissance à un monde de pastel gras ou de noir et blanc vibrant. C’est à la manière de ces petites poches de folie que le film s’approprie les plans fixes de Fujimoto. Pensé à la fois comme des parenthèses et des temps forts. Avant de se transformer en album photo quand le drame se referme sur ses deux ados. Une belle surprise.