Une légende circule à Hollywood. C’est dans sa baignoire, en sirotant son Martini (il en avait toujours une bouteille à portée de main), que Busby Berkeley concevait ses «extravaganza» – ces numéros de danse peuplés de girls en corolles démultipliées à l’infini en figures géométriques complexes, tunnels de jambes, triangles et losanges, cercles et mandalas qui creusaient dans ses films ou ceux des autres des trouées oniriques sans grand rapport avec l’intrigue principale. Est-ce à contempler l’éclat des glaçons dans son verre ou l’eau de son bain s’écoulant en spirale dans l’œil de la bonde que lui venaient ces délires formels, ces tableaux hypnotiques, ces prismes enjôleurs dans lesquels le regard s’abîme, pris dans les rets cristallins d’un songe, mieux, d’un rêve dans le rêve ? Il y a quelque chose du diamant dans ces kaléidoscopes vivants, ces images quantiques, où le temps se fige, se fait espace, et où ce qui advient garde la trace de ce qui fut – Deleuze appellerait cela une «image-cristal».
Poupées russes
Génie de la forme qui marqua de son empreinte fiévreuse la comédie musicale américaine des années 30 à 50, notamment à la Warner (son âge d’or) puis à la MGM (où il offrira à la sirène de Hollywood Esther Williams ses plus folles symphonies aquatiques), Busby Berkeley (1895-1976), «Buzz» pour les intimes, est probablement le p