«Il y a un an, y a un siècle, y a une éternité» comme dirait Joe Dassin dans l’Eté indien. Les césars 2021 avec ses «innombrables gags scato-gynéco-véto» comme nous l’écrivions, au bout du rouleau, en compte rendu, paraissent, dans ce temps infiniment creusé par le Covid, tel le portrait baroque d’un aïeul un peu zinzin prenant la poussière au fond du vestibule. On a bien compris que l’édition 2022 allait consister à replacer l’émission de télé toujours diffusée par Canal + (comprenez : étroitement surveillée par Vincent Bolloré et son orchestre orgue et biniou) sur les rails d’une bourgeoisie moins dissipée. L’esclandre d’Adèle Haenel quittant la salle en 2020 à l’annonce du césar de la meilleure réalisation à Roman Polanski pour J’accuse ou en 2021 Corinne Masiero déboulant en peau de bête puis à poil, badigeonnée de faux sang, pour protester contre la précarisation d’une partie du secteur pendant la pandémie, voilà le type de désordre que la chaîne souhaite abolir sur fond d’érosion de l’audience.
La vénérable Danièle Thompson, scénariste et cinéaste mainstream, présidera la cérémonie. Antoine de Caunes se chargera, à nouveau, de la présenter avec un flegme a priori bien rodé. En attendant d’être d’accord ou pas avec la distribution des statuettes concassées, sachant que le tiercé de tête des nominations se répartit entre Illusions perdues de Xavier Giannoli (15), Annette de Leos Carax (11) et Aline de Valérie Lemercier (10), palmarès résultant du vote des 4500 membres de l’Académie (acteurs, réalisateurs, auteurs, techniciens, producteurs, distributeurs, agents artistiques, attachés de presse, directeurs de casting et des exploitants de salles).
En attendant d’avoir les résultats de cette réunion de famille et en espérant quand même quelques noms d’oiseaux et assiettes cassées, voici ceux d’un choix partial maison sans vote (faut pas pousser non plus) mais avec articles, argumentaires et interviews des principaux concernés.
Meilleur espoir féminin
Lucie Zhang dans «les Olympiades» de Jacques Audiard
Etudiante en économie-gestion à l’université Paris-Dauphine, Lucie Zhang joue dans ce marivaudage en milieu bétonné, en français et en chinois, la jouisseuse Emilie, post-étudiante employée dans un centre d’appels, mélange atomique de séduction et de rien à foutre.
Meilleur espoir masculin
Sami Outalbali dans «Une histoire d’amour et de désir» de Leyla Bouzid
Découvert dans les séries Mortel et Sex Education, Sami Outalbali excelle dans le rôle principal du film, portrait du jeune étudiant Ahmed au moment et ses premiers pas sexuels après sa rencontre avec la rayonnante Farah (Zbeida Belhajamor).
Meilleure actrice
Léa Seydoux dans «France» de Bruno Dumont
Omniprésente toute l’année aussi bien dans un des gros succès planétaires (Mourir peut attendre, James Bond 2021) que dans de nombreux films d’auteur (Wes Anderson, Arnaud Desplechin…) et campagnes de pub de luxe, Léa Seydoux explose tous les cadres dans ce rôle de journaliste-reporter vedette traversant une grave crise existentielle.
Meilleur acteur
Adam Driver dans «Annette» de Leos Carax
Comme Léa Seydoux, Adam Driver fait partie de ce gotha des comédiens à l’amplitude de jeu et de type de productions vertigineux puisqu’on peut le voir aussi bien dans les derniers Star Wars que chez Jim Jarmusch ou dans cette incroyable comédie musicale signée Carax sur la musique des Sparks. On l’accueille dans nos bureaux quand il veut. Il y a du rosé au frigo.
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Meilleur premier film
«Gagarine» de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
Gagarine, ici, c’est pas directement l’astronaute pionnier du vol spatial mais la célèbre cité d’Ivry-sur-Seine, inaugurée en 1963 par celui dont elle porte le nom, et détruite en 2019 non sans avoir servi par ailleurs de décor nostalgique au clip Deux frères de PNL (le duo y ayant vécu). Un premier film séduisant «entre le presque documentaire et le quasi fantastique».
Meilleur film étranger
«First Cow» de Kelly Reichardt
L’Amérique boueuse du XIXe siècle, terre de conquête, de rêves et d’enlisement. Sublime anti-western sur une amitié de peu de mot et nourri de beaucoup de lait, First Cow a illuminé l’année de ceux qui ont eu la chance de s’abriter sous sa coupole de mélancolie chaleureuse.
Portrait
Meilleure réalisation
«Annette» de Leos Carax
So May We Start, la chanson inaugurale de cette tragédie musicale de la passion toxique, était l’ouverture en fanfare du festival de Cannes 2021. Depuis le film a bien vécu, bien vieilli, et Carax est déjà sur le coup fumant d’après (expo à Beaubourg en préparation). Prisant peu la sociabilité de la grande famille du cinéma français dont il a peaufiné sa stature d’éternel ado maudit, on peut douter qu’il fasse le déplacement à l’Olympia ce vendredi soir.
Meilleur film
«Onoda, 10 000 nuits dans la jungle» d’Arthur Harari
On l’a dit, écrit, redit, réécrit, on l’a entendu dire par d’autres dans nos colonnes en fin d’année, le film japonais fou d’Arthur Harari, récipiendaire du prix Louis Delluc depuis et d’un prix de la Critique française, reste notre chouchou challenger de saison, portrait du déphasage d’un soldat perdu comme en un Désert des Tartares tropical.