Est-on sérieux quand on a 18 ans ? Chantal Akerman a cet âge lorsqu’elle tourne en 1968 à Bruxelles, où elle vit, son premier film, Saute ma ville. C’est un court métrage de treize minutes, en noir et blanc. La jeune femme brune qui s’enferme dans la cuisine et qui a l’air d’un clown, c’est elle. Elle avait d’abord pensé donner le «rôle» à quelqu’un d’autre, mais elle a senti que son propre corps était en jeu. Il sera de nouveau là, en 1974, après un séjour déterminant à New York, à une époque expérimentale où certains quartiers ressemblent à la fin du monde, dans Je, tu, il, elle. La scène où la femme qu’elle y joue et une amie dont elle est séparée font l’amour renvoie aux oubliettes, par sa vérité et sa ténacité, la plupart des scènes dites sexuelles qu’on peut voir au cinéma. L’étreinte y est autant un déchirement qu’une fusion – phénomène dont la recherche horrifiait Akerman, par ce qu’il implique de soumission.
A propos de certains films réalisés alors par des femmes, dont les siens, Serge Daney dit en 1977 qu’il y a là «quelque chose d’extraordinaire : la façon dont les auteurs-actrices sont des deux côtés de la caméra sans que cela porte à conséquence. Il y a là une violence calme – qui fait mieux apparaître la différence avec l’homme auteur-acteur : regardez Lewis ou Chaplin, pour eux, passer d’un côté à l’autre de la caméra, c’est risquer le tra