La cinéphilie est une physique quantique. Prenez Ozu (1903-1963), né et mort le même jour à soixante ans d’intervalle, comme à vouloir effacer sa propre trace. De fait, il aura fallu attendre encore une quinzaine d’années en France pour que sa lumière et son œuvre ne nous parviennent, et encore dans le désordre, en commençant par la fin et ses derniers films dont la limpide splendeur l’imposait comme un maître de l’épure à la grammaire immédiatement reconnaissable : de longs plans fixes filmés frontalement, au ras du tatami, des lignes graphiques exaltant le surcadrage jusqu’à l’abstraction, des inserts de plans sans personnages, ciels pommelés, rues désertes où palpitent les néons des enseignes lumineuses, intérieurs de maisons vides, comme autant de vibrantes natures mortes, ponctuant une subtile peinture de la vie domestique nippone d’après-guerre, prise entre tradition et modernité.
Cinéma
Réduire son cinéma à l’évidence de ces lignes de force sonnerait presque comme un stéréotype. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas vrai – le cliché, disait Daney, n’est pas une image fausse, c’est une image qui ne bouge pas. Le fait est qu’il suffit d’égrener ses œuvres à la suite pour faire trembler les lignes. Emaillant cette année commémorative, qui célèbre le cent-vingtième anniversaire de sa naissance en même temps que le soixantième de sa mort – avec notamment la parution d’une superbe monographie richement illustrée, Yasujiro Ozu. Une affaire de famille, de Pascal-Alex Vincen