Il est toujours gênant de bailler devant une satire de mœurs qui croit taper dans le mille. L’Autrichienne Jessica Hausner (Little Joe) tire le portrait plein de morgue d’une société bourge, où les troubles du comportement alimentaire se donnent l’alibi d’un nouveau courant de pensée, qui favorise l’alimentation «consciente». Une imposture sortie du cerveau d’une jeune enseignante gourou qui, débarquant dans un lycée privé, enrôle des adolescents crédules dans le culte du «manger moins». Vendu comme un antidote à la surconsommation, emballé dans des mantras new age, ce vœu d’ascèse (à terme, l’idée est de pouvoir vivre en ne mangeant plus rien du tout) est un reflet à peine déformé du charlatanisme de la nutrition vendu par les influenceurs, VRP du jeûne intermittent et de l’anorexie cool.
Voyez ces mouvements d’appareils intempestifs, cadencés par des gongs ironiques ! Le ton se veut décapant. L’esthétique agressivement géométrique et frigide, histoire de bien enfoncer le clou de l’hygiénisme social – comment diable les chefs déco faisaient-ils avant l’invention du design nordique ? Autant de facilités qui rendent cette comédie noire aussi déplaisante que ce qu’elle raille, pleine du nihilisme mal dégrossi d’un spectateur qui aurait appris ce qu’est le capitalisme devant Black Mirror. Il aurait au moins fallu une dose d’équivoque pour arracher le film, qui était en compétition à Cannes, à cette impression d’autosatisfaction grimaçante. Au rayon des platitudes, on ne s’étonnera pas de ce que les tares accablent tout particulièrement les femmes (dindes superficielles et mères toxiques à chihuahuas). Têtes à claques, les victimes endoctrinées sont, quant à elles, bêtes à manger du foin. L’obsession de faire manger leur vomi aux riches est devenue la marque la plus sûre d’un cinéma européen démago, prétendument racé, qui ne sait pas masquer son vide politique.