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L’éditeur Spectrum Films a toujours le bon goût de mettre en valeur des pans négligés de l’histoire du cinéma hongkongais : voici le tour de Mabel Cheung émergeant dans les années 80 avec une prédilection pour les histoires d’immigrés chinois tandis que résonnait le compte à rebours de la rétrocession de Hongkong à la Chine. The Soong Sisters, son film le plus ambitieux et ample, sort en 1997, année fatidique, et lui permet de raconter l’histoire de la Chine moderne via un angle féministe. Les trois sœurs du titre, filles de pasteur ayant étudié aux Etats-Unis, reviennent au pays dans les années 1910 et, preuve que l’histoire produit les meilleurs mélos, chacune épousera un puissant. Le fossé s’élargira entre la cadette Ching-ling, femme du premier président chinois Sun Yat-sen et future partisane des communistes, et la benjamine Mei-ling, femme du nationaliste Tchang Kai-chek, futur président de Taiwan.
La cinéaste ne se perd jamais dans les scènes de foule et raouts de militants, gardant toujours le cap sur cette singulière sororité et son apport à la trajectoire politique de leurs moitiés. Coproduction avec la Chine oblige, Soong Ching-ling se distingue, bien sûr aidée par la cinégénie insolente de son interprète Maggie Cheung dès qu’on la pomponne et l’éclaire dans un film à costumes. Mais la cinéaste louvoie aussi sous l’œil de la censure, disséminant des grappes d’ambiguïté au détour d’une réplique («avant, nous étions esclaves de la vieille Chine, maintenant, nous sommes esclaves des esclaves de la Vieille Chine»), d’un intertitre contredisant telle victoire ou d’une scène menaçante (Maggie Cheung toute droite face à une voiture en passe de l’écraser, comme un écho à l’étudiant face au tank de la manifestation de Tiananmen en 1989).
Délicieuse chronique douce-amère
Plus modeste, Eight Taels of Gold (1989) manie un même sens du cadre habilement composé et du contre-emploi : la sœur aînée Soong était jouée par Michelle Yeoh, star du film d’action HK et ici, c’est son collègue Sammo Hung qui délaisse les tatanes aux côtés de Jackie Chan pour un de ses rares rôles dramatiques. Celui de Slim, vieux garçon et chauffeur de taxi à New York, qui vient visiter ses parents après seize ans d’absence et lesté de lingots, signe extérieurs de réussite (les taels d’or du titre). Il retrouve aussi sa cousine perdue de vue et la possibilité d’un grand amour.
La petite note comique du début («made in China, ça veut dire vive la liberté», ment Slim à un chinois non anglophone) laisse vite place à une délicieuse chronique douce-amère, nuancée et nullement condescendante, sur le choc culturel et l’expérience immigrée : est-on vraiment parti ? Où revient-on ? «Où que l’on aille dans le monde, on finira dans un Chinatown», ironise à peine la cousine. Ce bilan de vie excelle aussi par sa pudeur : que Mabel Cheung arrive à étirer le climax émotionnel plus que de raison, sans jamais larmoyer, et à inscrire ses personnages dans un espace qui sera toujours plus parlant que toute grande déclaration (un restaurant tournant panoramique ici, un fleuve là), dénote une précieuse sensibilité.