«Au fur et à mesure que j’enquêtais, je me suis rendu compte que personne ne voulait parler publiquement des abus et de l’exploitation par peur des représailles. De facto, mon projet est devenu une fiction puisque c’était la seule façon de dire la vérité tout en protégeant l’anonymat des témoins.» A la question simpliste de pourquoi réaliser une fiction plutôt qu’un documentaire – ce qui revient à demander avec un vague dédain la raison de se résigner à l’imitation au lieu de respecter l’original –, le cinéaste Pier-Philippe Chevigny, dont Dissidente est le premier long métrage, répond par une défense de la fiction sensée, logique et non idéologique, élaborée au nom de la vérité plutôt que d’une réalité inaccessible.
La réalité du contexte consiste dans le statut particulier des «travailleurs étrangers temporaires» au Canada, dont l’industrie agricole embauche une main-d’œuvre venue du Guatemala corvéable à merci, sous-payée et sous-traitée. Un rapport de l’ONU a récemment souligné le «terreau fertile pour l’esclavage moderne» que représente cette exploitation de journaliers, flux continu de migrants tenus par le chantage et la précarité. La vérité scrupuleuse qu’il s’agit de refléter est celle de corps soumis qui ploient sous le labeur et le fardeau à l’usine : la douleur cinglante du mal de dos et l’interdiction de repos, appréhension physique de l’oppression que le film restitue en ne cessant pas de circuler, d’avancer, d’endurer sans flancher. La rési