Le capitalisme parle au capitalisme. Les petits spéculateurs court-circuitent les gros boursicoteurs, milliardaires et fonds de pension. Le cours de la Bourse, le cours de la vie, le cours du récit : voici ce que s’échine (et échoue) à faire tenir ensemble Dumb Money, fiction compliquée sur une affaire compliquée – dite l’affaire GameStop – qui a défrayé la chronique de Wall Street à partir de 2021, en pleine pandémie de Covid. L’avidité règne partout dans un monde d’argent virtuel, des courbes d’action, d’applications type Reddit et d’influenceurs de placement en ligne, les petits contre les gros, enfin vengés. Avidité «morale» des plus pauvres versus cupidité «immorale» des super-riches, «greed» ( «avidité», titre original des Rapaces, de Stroheim) engendrant «more greed» (plus d’avidité), le vice tourné en vertu par un Robin des bois 2.0, croisement entre un nerd Tortue Ninja et un Elon Musk des faubourgs (Paul Dano, qui a l’air de n’avoir rien à faire là), la vertu durera le temps au vice de reprendre le dessus.
Contagion boursière
Il y a toujours quelque chose d’intriguant dans la contrefaçon, en ce qu’elle ne cherche pas vraiment à donner le change et à faire longtemps illusion (que c’est une imitation). Dumb Money est un succédané admiratif de The Big Short et plus généralement du style d’Adam McKay. Brochette de stars pour film choral et engagé, chacun fiché dans sa case BD, pastiche et postiches, satire et survol ventre à terre : pour restituer le système insensé, suivez le spectacle, suivez l’argent. Dumb Money remplace le nom de la marque (McKay) par une pâle copie (Gillespie), qui n’a pas le savoir-faire et le sens des finitions, le cousu main est reproduit à la machine. On préfère se payer un faux, au même prix qu’un authentique bon marché. La contrefaçon est une tristesse du capitalisme, comme dans le film, où les pauvres copient les riches pour les dépouiller, Craig Gillespie copie Adam McKay, le capitalisme copie le capital, et le spectacle imite le spectacle.
La bonne idée est d’avoir gardé les masques de pandémie, d’en faire un effet répétitif de ce moment particulier. Ça permet l’analogie entre la contagion boursière et la contamination virale, justiciers masqués et salauds démasqués, c’est surtout l’occasion d’instants drôles : chacun réajuste son masque à tout bout de champ, running gag du meilleur effet, dialogue de rappel à l’ordre, le seul, le vrai – l’ordre comique : «Mask !»