Ce n’était pas son premier Festival de Cannes. Mais même pourtant préparé à la «frénésie» de ces deux semaines sur la Croisette, Martin Colombet, photographe régulier pour Libération, en sort comme d’une machine à laver bloquée sur le plus haut niveau d’essorage : «La quantité de choses, de signes, d’images, que le cerveau doit traiter en si peu de temps est invraisemblable, explique-t-il, à quelques heures du palmarès. En plus la lumière est très forte, très difficile à gérer.»
Alors qu’aujourd’hui l’accréditation des photographes ne leur permet plus d’accéder aux salles, et donc de ne plus pouvoir voir les films des artistes qu’ils portraiturent, Martin Colombet termine la quinzaine sur un sentiment ambivalent : «Il y a deux Cannes. Celui du cinéma et celui du cirque de la Croisette. Et quand on n’a vu aucun film, il ne reste que le deuxième…» Une ambiance, un mirage, qu’il a saisis au quotidien. Il revient sur quelques-unes de ses photos, déjà publiées ou inédites, et raconte le contexte de ses prises de vues.
Depuis le 7e étage de l’hôtel Carlton. «J’ai fait cette photo dans la suite du réalisateur Takeshi Kitano que je rencontrais pour un portrait. Depuis cette fenêtre qui donne directement sur la mer, la Croisette n’existe plus, elle disparaît. Le luxe de ce grand hôtel communique directement avec celui des yachts que l’on voit au loin.»
Près du Palais Miramar, en milieu de soirée. «Cette photo est typique du glamour de Cannes. J’aime bien cette espèce d’alcove, dessinée par la lumière. A Cannes, on voit beaucoup de scènes de préparation, d’habillage ou de maquillage dans la rue.»
Sur la plage de la Quinzaine. «J’ai pris en photo ce photographe, qui tient un appareil argentique. J’aime son allure, à la fois soignée et parfaitement déglinguée. Il a un vrai style mais tout dit la fatigue.»
Tournage à l’abribus. «Cette influenceuse en train de faire un shoot vidéo m’a intrigué, avec ses poses lascives et sa robe luxueuse sous un abribus. La médiocrité du lieu associé au luxe, c’est exactement Cannes, où le cinéma semble parfois très annexe.»
Gros zooms sur les marches. «Les places sont attribuées, j’étais assez bien placé sur le tapis rouge, j’étais à un mètre des stars. Ça m’a permis de faire des contre-champs intéressants et montrer la frénésie, les photographes qui hurlent le nom de ceux qui montent les marches, qui ont des objectifs énormes…»
Cendrillon sur la Croisette. «Cette femme doit pas avoir l’habitude des talons et sa souffrance contraste avec l’allure de ce couple endimanché, assis sur le trottoir. Femmes et hommes en tenue de soirée, Cannes véhicule tous les stéréotypes, de genre, d’argent, donnant l’impression d’un milieu très archaïque que les avancées de ces dernières années ne concernent pas.»
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Aux abords d’un concert de musique classique. «On ne sait pas sur l’image ce que cet homme regarde. Pour moi, elle dit beaucoup des espaces cloisonnés de Cannes. Il y avait à l’intérieur un concert, avec 500 personnes, et sans doute autant, voire plus à l’extérieur qui écoutaient. Pourquoi les empêcher de voir ? Les différents milieux sociaux ne se rencontrent pas, tout est très contrôlé.»
Sur le tapis rouge. «Cette femme, sur les marches, ne correspond pas au cliché glamour du genre. Son regard inquiétant est en parfait décalage avec sa robe et sa pose. Pour moi, cette photo évoque la violence de l’exhibition qui constitue le festival de Cannes.»
Sur la plage de la Quinzaine. «Là aussi c’est le décalage qui m’a intéressé pour cette photo, de ce cygne sur la plage, en plein cagnard. Ils étaient plusieurs. Mais qu’est-ce qu’ils font là ?»
En bas du Palais des festivals. «Cette femme s’est fait refouler au pied des marches, il pleut, elle est trempée, elle est dégoûtée. Fini le temps où c’était possible, sur un malentendu, d’accéder au Palais, aux fêtes, où aujourd’hui, même avec une invitation, c’est très difficile d’entrer.»
Harrison sur les marches. «Avec mon petit appareil photo, je me faisais finalement plus remarquer que ceux qui derrière moi hurlent le nom des stars. Moi, je ne dis jamais rien. Pourtant Harrison Ford a tourné les yeux vers moi.»
Palais des festivals, entre deux montées des marches. «Le contraste est total entre les gens qui viennent de défiler sur les marches et ceux qui travaillent, comme cette femme, quasi figée sur l’image, qui nettoie le tapis rouge. D’une manière générale, ça nettoie beaucoup à Cannes.»
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