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Libération
Journal de bord

Festival de Cannes, jour 1 : champagne ou champs de bataille ?

Aujourd’hui, cérémonie d’ouverture timidement engagée et dress code carabiné.
Juliette Binoche, présidente du jury, et Jeremy Strong, à leur arrivée au Palais des festivals. (Manon Cruz/REUTERS)
publié le 13 mai 2025 à 20h30

Critiques, portraits, interviews… Suivez jour après jour, toute l’actu du Festival de Cannes avec les envoyés spéciaux de «Libération».

«La lumière est belle le ciel est pur, on va passer une bonne journée», lance une vieille dame enjouée au marché de Forville en travaux jusqu’à au moins 2026 avec sur la tête un bob tellement grand qu’on se demande comment elle va faire pour traverser les allées sans se manger un étal. Le premier mardi, à Cannes, c’est le jour où tout est ouvert mais où rien n’a vraiment commencé, c’est calme et on peut encore s’étonner du temps qu’il fait, penser aux vacances – d’ailleurs c’est l’Aventura de Sophie Letourneur, récit d’un périple en Sardaigne, qui ouvre mercredi 14 mai la sélection de l’Acid et ce n’est pas une coïncidence.

Que dire alors de cette cérémonie d’ouverture un brin embarrassée et dans laquelle certains attendaient les contrecoups de la lettre ouverte retentissante publiée par Libération et signée par de nombreux acteurs et cinéastes – Pedro Almodóvar, Adèle Exarchopoulos, Richard Gere, Susan Sarandon, Justine Triet… – appelant le Festival de Cannes à ne pas passer sous silence le génocide palestinien ? La présidente du jury, Juliette Binoche, a clos son discours en citant les mots de Fatma Hassouna, photoreporter palestinienne tuée en avril par un bombardement israélien, au centre du documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, sélectionné à l’Acid.

On ouvre !

C’était long et crispé. Laurent Lafitte, maître de cérémonie d’habitude si détaché et hilarant de vacheries bien placées, est apparu tendu, le regard dans le vague cherchant la bonne caméra ou le prompteur, lancé dans l’effort de créer un truc fort d’entrée de jeu en soliloquant sur le rôle de l’acteur (et de l’actrice), métier politique mais pour qui «chaque prise de parole est une prise de risque». Citant dans la foulée un listing d’audacieux, ayant fait preuve de courage au cours de leur carrière : James Stewart, Marlene Dietrich, Isabelle Adjani, Adèle Haenel et… Volodymyr Zelensky. Et puis… rien. Une pirouette sur Un homme et une femme pour faire mention de l’image de l’affiche de cette 78e édition et les membres de jury sont arrivés sagement dont Jeremy Strong dans un smoking tarama lamé du plus bel effet. A la cérémonie d’ouverture, des prises de parole politiques et policées

Les films du jour

On aime

«Zelensky» d’Ariane Chemin, Yves Jeuland et Lisa Vapné. Peu inventif mais exhaustif, un documentaire, projeté aujourd’hui à Cannes et disponible sur Arte, retrace le parcours de l’Ukrainien, clown-businessman avisé devenu chef de guerre. Notre critique.

On n’aime pas trop trop

«Partir un jour» d’Amélie Bonnin. Choisi pour ouvrir la 78e édition de l’événement, le «film-karaoké», premier long métrage de la réalisatrice, où Juliette Armanet interprète une vedette des fourneaux, transfuge de classes de retour au bercail, veut rassembler les publics et les territoires à coups de clichés. Le film sort sur tous les écrans ce mercredi. Lire, en fredonnant, notre critique très mitigée.

L’entretien Croisette

Robin Campillo (120 Battements par minute) et sa productrice Marie-Ange Luciani (Anatomie d’une chute) reviennent sur la genèse d’Enzo, film d’ouverture de la Quinzaine des cinéastes, dont l’écriture et la conception ont été une œuvre collective, marquée par la mort du réalisateur d’Entre les murs en 2024, à quelques jours du tournage. «Ce film est le produit d’une amitié et d’une histoire de cinéma entre Laurent Cantet et Robin Campillo»

En direct

«Décence». Qui osera braver l’appel à la décence lancé par le Festival qui a annoncé ce mardi matin un durcissement de son code vestimentaire en interdisant toute forme de nudité «sur le tapis rouge, ainsi que dans tout autre lieu du Festival» ainsi que les tenues volumineuses, en particulier avec des «traînes longues» dont l’ampleur «entrave la bonne circulation des invités et complique l’assise dans la salle». Le tote-bag est proscrit tout autant, ce qui est clairement une méthode peu honnête pour écarter l’ensemble du Libé Cannes crew de la si désirable grimpette glamour. La direction hausse le téton.

Social. Quelques minutes avant les discours politiques de la cérémonie d’ouverture, l’ambiance était quelque peu tendue sur les marches du Palais pour le collectif Sous les écrans la dèche, qui réunit des professionnels précaires des festivals de cinéma. Un an après avoir hissé une banderole sur le toit du Palais, ceux qui demandent à être intégrés au régime de l’intermittence ont à nouveau tenté une action pour se faire entendre après une fin de non-recevoir à l’issue de longues négociations avec leurs organisations syndicales et patronales. Sur le tapis rouge, au milieu des tenues «décentes», ils ont tombé la veste pour laisser voir, à l’arrière de leurs chemises, des stickers rouges au nom du collectif et un message : «Pas d’intermittents, pas de Festival.» Stoppés en haut des marches par la sécurité, ils ont ensuite été cueillis par les forces de l’ordre et contrôlés. Pendant ce temps, une vingtaine de manifestants qui s’étaient faufilés entre les barrières et les CRS, ont brandi en bas des marches une pancarte et sifflé leur mécontentement, avant d’être exfiltrés au milieu de festivaliers et de badauds. Un membre du collectif rappelle que Cannes, «c’est notre seul endroit de visibilité» : «C’est un endroit qui nous permet d’interpeller les politiques, pas le Festival.»

La projo privée de Thierry Frémaux

Le délégué général du festival de Cannes, Thierry Frémaux, sort du marathon de la sélection et entre dans celui de la manifestation elle-même. «A quoi carburez-vous ? Quel est la marque de votre kérosène ?» pourrait être la seule question qui vaille, le sachant ceinture noire de karaté et adepte du vélo en mode sportif… Et tout ça, avec zéro alcool pendant les quinze jours de raout. La veille de l’ouverture, il nous a envoyé fissa les réponses à notre questionnaire cinéphile existentiel. «J’aime toutes les palmes d’or, c’est dans mon contrat»

Point critique, le quiz

Le jeu est simple : on vous donne un extrait d’une critique ciné parue dans Libération à l’époque, à vous de retrouver de quel film il s’agit !

«Toutes scènes insistant sur sa crinière de cheveux indomptés, son adorable méconnaissance de l’étiquette, son mépris du conformisme, forcent un naturel et une fraîcheur qu’il faudrait trouver irrésistibles, à longueur d’éclats de rire un peu neuneus.»

Et demain ?

La compétition officielle démarre sur les chapeaux de roues en grind précaire sur la tranche d’une barrière de sécurité au bord d’une falaise à pic menant sans escale jusqu’aux entrailles de la terre. In die Sonne schauen (titre international : Sound of Falling) est le premier long métrage de la cinéaste allemande Mascha Schilinski, décrivant «avec divers sauts dans le temps, un flux de souvenirs associatifs de la vie de quatre filles qui vivent ou ont vécu dans une ferme d’Allemagne de l’Est sur une période d’environ cent ans jusqu’à aujourd’hui». Le nouveau Sergueï Loznitsa, Two Prosecutors, nous ramène à l’URSS stalinienne de 1937.

A la Semaine de la critique, l‘Intérêt d’Adam de la Belge Laura Wandel raconte la relation entre Rebecca, mère d’un enfant malnutri auquel les services sociaux ont retiré la garde, et une infirmière.

A Un certain regard, Promis le ciel d’Erige Sehiri, avec Aïssa Maiga, promet presque une accalmie feel-good, malgré «un climat social de plus en plus préoccupant».

Plus prosaïque, deux maestros viendront chacun en leur âme et conscience présenter une masterclass – Robert De Niro et Todd Haynes – dont au moins une des deux nous emballe à l’avance, l’autre un peu moins, mais on peut se tromper, ça nous est déjà arrivé.