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Libération
Journal de bord

Festival de Cannes, jour 3 : les yeux grand ouverts et les pneus crevés

Aujourd’hui, des policiers, des réseaux sociaux hantés et une montagne enneigée.
Le long de la Croisette, mercredi 14 mai. (Marie Rouge/Libération)
publié le 15 mai 2025 à 19h58

Critiques, portraits, interviews… Suivez jour après jour, toute l’actu du Festival de Cannes avec les envoyés spéciaux de «Libération».

Déjà fatigués, ou quoi ? Bien moins que ce festivalier posté en costume-nœud-pap devant le Palais des festivals l’autre soir, une pancarte à la main comme le veut la tradition cannoise pour proposer un «exchange» de billets, qu’il avait malencontreusement orthographié «EXSANGUE». Soutien à lui. Le crew culture de Libé ne saurait que lui recommander les bonbons énergisants à la caféine, en vente légale en Suisse. Appel à témoignage par ailleurs, alors qu’on soupçonne des mystérieux actes malveillants de pneus de vélo crevés sur la Croisette. Peut-être l’œuvre d’altermondialistes antifestivaliers, ou de lobbyistes de l’automobile remontés contre la mobilité douce, fanatiques d’émissions de CO2.

Les films du jour

On aime beaucoup

Mission : Impossible - The Final Reckoning de Christopher McQuarrie Dans le huitième volet (et supposément dernier) de la saga, Tom Cruise et Christopher McQuarrie naviguent entre solennité totale et autodérision tout en assumant la fin annoncée du blockbuster à l’ancienne. Le barouf d’honneur de «Mission : Impossible»

Dossier 137 de Dominik Moll. A travers une enquête de l’IGPN sur un cas de violences policières pendant les gilets jaunes, Dominik Moll noue un polar social ample et intelligent. «Dossier 137», police secousses

On aime

Deux Procureurs de Sergueï Loznitsa. A travers la plongée grinçante d’un juriste dans les arcanes du pouvoir, l’Ukrainien Sergueï Loznitsa dépeint l’URSS de Staline en théâtre de l’absurde. «Deux Procureurs», une purge merveille

L’Engloutie de Louise Hémon. Dans le premier long métrage de la cinéaste, aux accents folk horror, une institutrice est envoyée dans un village aux confins des Alpes pour sortir ses habitants de l’archaïsme. «L’Engloutie» a son hameau à dire.

On aime bof

La mort n’existe pas de Felix Dufour-Laperrière. Crise existentielle lourdaude sur fond de braquage gaucho raté, la fable animée du Québécois Félix Dufour-Laperrière prend des airs de sermon. «La mort n’existe pas» : qui va à la chasse perd son casse

En direct

Persona non grata. L’acteur Théo Navarro-Mussy, qui tient un rôle secondaire dans Dossier 137 de Dominik Moll (il y est un flic accusé de violence sur un jeune manifestant), film présenté ce jeudi 15 mai en compétition, a été prié de rester chez lui. Le comédien de 34 ans, surtout connu pour son rôle dans la série Hippocrate de Thomas Lilti, est visé par une plainte de trois de ses anciennes compagnes pour «viols, violences physiques et morales». Si la plainte a été classée sans suite en avril pour «infraction insuffisamment caractérisée», Thierry Frémaux, qui a été informé de l’affaire par l’Association des acteur·ices, a justifié auprès de Télérama, qui révélait le cas sur son site mercredi, la décision inédite de demander au comédien de ne pas venir à Cannes par le fait que «la procédure reste en cours» : «C’est parce qu’il y a recours et donc poursuite de l’instruction que le cas est non-suspensif.» Les deux productrices à la tête de Haut et Court, Carole Scotta et Caroline Benjo, informée de ces plaintes par Frémaux lui-même ont déclaré à Variety : «Ces questions nous tiennent à cœur, cette décision était donc une évidence, de même que pour Dominik Moll, dont la position sur ces questions a toujours été très claire».

Cannes change donc radicalement de pied sur ces sujets puisqu’il y a deux ans encore, Johnny Depp avait tous les honneurs pour le film d’ouverture de Maïwenn, Jeanne du Barry, où il tenait avec elle le rôle principal, un nouveau cap post-MeToo donc dont l’orchestratrice pointilleuse semble bien être celle qui a pris la suite de Pierre Lescure au poste de présidente de la manifestation, Iris Knobloch. A lire, notre compte rendu de table ronde du CNC ce jeudi sur ce même sujet, à la suite de laquelle le vice-président de l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), mis en cause pour violences sexuelles par une spectatrice, a été mis en retrait de ses fonctions.

Mais qui est Becky ? La question nous taraudait depuis le début, pendant nos séances de scrolling au saut du lit sur une appli du diable en attendant l’ouverture à 7 heures pétantes de la toute aussi démoniaque billetterie du Festival. Mais qui, bon sang de bonsoir, pouvait bien être cette Becky, dont parlait quasiment un tweet sur deux, accompagné de drôles de hashtags comme #LOrealMakeupxBecky ou #beckysangels et de la très énigmatique phrase – toujours en lettres capitales – «BECKY GETS THE CANNES LOOK». Le tout ayant des allures d’attaque coordonnée d’une armée de bots activée par une boîte de relations publiques et d’une armée de stans sautant sur une hype qu’on serait trop vieille pour comprendre. Il fallait vérifier.

De son vrai nom Rebecca Patricia Armstrong, celle qui «fait sensation grâce à ses tenues hautes en couleur, que ce soit en mode off-duty à l’Hôtel Martinez, se baladant le long de la Croisette ou sur le tapis rouge» (dixit Vogue) est en fait une actrice et chanteuse britannico-thaï de 22 ans, ultracélèbre en Thaïlande et suivie sur Instagram par 4,3 millions de personnes. Mais notre enquête nous a surtout plongée dans un univers inattendu : celui des Girl’s Love, ou «GL», romances lesbiennes thaï à l’eau de rose qui s’exportent pas trop mal si on en croit le nombre de comptes fan dédiées à Becky. La jeune femme est présente à Cannes à la fois en sa qualité d’égérie l’Oréal, mais aussi pour présenter au marché du film la série Cranium, qui devrait sortir en 2026. Le pitch : deux anthropologues scientifiques forcées de travailler ensemble après la découverte mystérieuse d’un crâne humain finissent par se choper. Pas de quoi ajouter à la liste des films cannois à haut potentiel lesbien établie par l’influenceuse cinéphilo-saphique Lesbien raisonnable, mais quand même bravo les lesbiennes.

Portrait croisette

Avec l’Engloutie, l’actrice Galatéa Bellugi et la cinéaste Louise Hémon partagent un terrain d’expérimentation, jouant avec le désir féminin, la douleur, la montagne. Galatea Bellugi et Louise Hémon, tremblement de mystères


Projo privée

Chanteur et acteur hurluberlu, Dionysos nudiste bleu aux JO désormais réputé internationalement, faux compagnon de Sophie Letourneur dans son nouveau long métrage l‘Aventura qui ouvrait joyeusement l’Acid à Cannes, Philippe Katerine a plus d’un titre. Tous justifient que Libé lui colle son questionnaire cinéphile entre les mains auquel il nous a répondu sur papier au stylo… «Au cinéma, quand les losers «winnent», je pleure tout le temps»

Quiz

Le jeu est simple : on vous donne un extrait d’une critique ciné parue dans Libération à l’époque, à vous de retrouver de quel film il s’agit !

«Il y a tant à dire sur ce film qu’on ne sait pas par où commencer. La durée, peut-être ? 2h35 ! Ce qui en fait l’épisode le plus épique de Plus Belle la vie… La philosophie ? Toutes les femmes sont des mamans sauf une, qui est mieux encore qu’une femme : un bon pote. Les gags ? Ils vont et, malheur, reviennent, pas drôles.»

Et demain ?

En compétition, du lourd pour ce vendredi 16 mai avec Eddington d’Ari Aster avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Butler… On imagine déjà l’émeute des photographes sur les marches et la foire d’empoigne des chasseurs d’autographes toujours massés en bas en plein cagnard selon une tradition mi-pittoresque mi-pathétique. Révélé avec Hérédité et Midsommar, Aster a déjà fait tourner Phoenix dans son précédent Beau Is Afraid et il s’agirait cette fois d’une satire politique sur fond de confrontation entre un shérif et le maire d’une ville du Nouveau-Mexique.

Autre film attendu, celui réalisé par la star Kristen Stewart, The Chronology of Water, adaptation du livre de Lidia Yuknavitch traduit sous le titre la Mécanique des fluides, portrait d’une jeune fille qui tente de se sauver par l’écriture.

On est très impatient également de voir de quelle manière Hafsia Herzi, devenue cinéaste qui compte du cinéma français, a adapté la Petite Dernière de la romancière Fatima Daas (compète). Autres curiosités : The Plague de l’Américain d’origine roumaine Charlie Polinger (Un Certain regard), qui se déroule dans un camp de water-polo pour garçons, Laurent dans le vent du trio Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon (Acid) ou The President’s Cake de l’Irakien Hasan Hadi (Quinzaine des cinéastes) qui suit Lamia, une fillette de 9 ans, chargée de préparer un gâteau pour l’anniversaire du président Saddam Hussein.