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Libération
Journal de bord

Festival de Cannes, jour 4 : «Libé» a des blattes mais pas le cafard

Aujourd’hui, c’est la fin du début, mais pas encore le début de la fin.
A Cannes, ce vendredi 16 mai. (Marie Rouge/Libération)
publié le 16 mai 2025 à 20h43

Cannes jour 4, ressenti 47, consommation de cacahouètes grillées à + 200, et comme une envie d’embarquer avec Rachida Dati dans son vrombissant méga camion mobile «Cinémo» crinière au vent pour projeter Sirat partout où on passera et mettre le feu à la Napoule. Au lieu de quoi on restera sans doute à l’hacienda Libé pour vider le lave-vaisselle de ses blattes et les jeter à pleines brassées sur les détenteurs d’AirPods qui les font sonner en pleine projection, arrêtez avec ça. Ça hérisse les critiques de cinémo.

Les films du jour

On adore !

Sirat d’Oliver Laxe. L’Espagnol Oliver Laxe plonge un père et son jeune fils au cœur d’une free party au beau milieu des sables, dans un périple tripant à la recherche de sa fille disparue. A la sortie de la salle, jeudi, un fêtard en costard, déchiré, menaçait : la palme, ou on brûle tout. «Sirat», la fête infinie

On aime

Laurent dans le vent de Anton ­Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon. Déambulation d’un jeune paumé qui en croise d’autres dans une station de sports d’hiver, le film très réussi du trio de cinéastes trouve le parfait équilibre entre drôlerie et dépression. «Laurent dans le vent», à ski mieux mieux

On aime moyen

The President’s Cake de Hasan Hadi. Une fillette doit confectionner un gâteau pour l’anniversaire Saddam Hussein dans le film de l’Américano-Irakien Hasan Hadi, qui vaut surtout pour sa représentation d’un culte de la personnalité dément. «The President’s Cake», rite de glaçage

Portrait croisette

A l’affiche de l’étourdissant Sirat d’Oliver Laxe, Richard Bellamy, Stefania Gadda, Tonin Janvier et Jade Oukid ont puisé dans leur vécu pour raconter une histoire intime et universelle. Punks à lien

En direct

L’émouvant hommage à Fatma Hassouna. Les spectateurs qui sortent ont la mine défaite. Ils viennent de passer deux heures les yeux dans ceux de Fatma Hassouna, photojournaliste palestinienne tuée à Gaza le 16 avril. De l’autre côté du mur de la salle de projo, dans le hall du cinéma Olympia, ils se prennent les paradoxes cannois en pleine face : une jeune femme a étalé la largeur de sa robe-choucroute sur la moquette rouge mouchetée des marches du cinéma et se fait copieusement photographier par son Instagram-husband.

Jeudi 15 mai, un mois après la mort de Fatma, au lendemain de l’annonce de la sélection à l’Acid de Put Your Hand on Your Soul and Walk, de Sepideh Farsi, dont elle était l’héroïne, le film était projeté officiellement pour la première fois, dans deux salles de l’Olympia, prêtées pour l’occasion à la petite sélection parallèle pour accueillir les aspirants spectateurs, trop nombreux pour les habituelles salles du petit cinéma d’art et essai les Arcades. Après la séance, au milieu d’un épais silence, la cinéaste iranienne a évoqué longuement l’histoire de cette jeune palestinienne avec qui elle s’était liée d’amitié, qui lui a servi d’yeux à Gaza et qui aurait dû être présente. Avant de quitter la salle, Sepideh Farsi a demandé la même chose : «Parlez de Fatem, pensez à elle, partez avec son sourire.»

Des nouvelles de la planète Trump. «Un film grandiose et spectaculairement épique qui va couper le souffle aux cinéphiles du monde entier», Adam Fogelson, patron du studio Lionsgate, est chaud patate. Son pote Mel Gibson va bientôt tourner la suite de son sanguinolent The Passion of the Christ (qui aurait rapporté 610 millions de dollars en 2004). Suspendu au cliffhanger de la crucifixion, il s’agit de raconter les épisodes suivant sous le titre évocateur de The Resurrection of the Christ. Jésus devrait toujours être interprété par Jim Caviezel, marquant ainsi la réunion de deux figures du trumpisme zélé, Caviezel, révélé dans la Ligne rouge de Terrence Malick, ayant vrillé complotiste chrétien au point d’être le héros de Sound of Freedom, gros succès auprès des supporteurs de la mouvance QAnon. Pendant ce temps, les gros syndicats d’Hollywood essayent de convaincre Trump de ne pas administrer sa traditionnelle potion magique des taxes au secteur visant à pénaliser tous les films qui ne sont pas tournés à l’intérieur des frontières américaines et plaident pour des subventions fédérales de long terme afin de soutenir une activité montrant des signes de fléchissements inquiétants. Titre implicite du moment : «The Ressurection of Hollywood».

Restons palme

La 78e édition du Festival est hantée par les conflits, via des documentaires à Gaza et en Ukraine, s’immisçant jusque dans des films où ne pensait pas les voir. Billet

Projo privée

Infirmière hyperinvestie qui perd pied pour Laura Wandel dans l’Intérêt d’Adam, enquêtrice de la police des polices hyperinvestie pour Dominik Moll dans Dossier 137, Léa Drucker est de tous les films, hyperinvestie dans cette 78e édition du Festival. L’exercice du questionnaire cinéphile s’imposait.

Point critique, le quiz

Le jeu est simple : on vous donne un extrait d’une critique ciné parue dans Libération à l’époque, à vous de retrouver de quel film il s’agit !

«Mode d’emploi à l’attention des réalisateurs désireux de connaître le battage médiatique dont profite tout film d’ouverture à Cannes : flatter l’instinct de maître de cérémonie qui sommeille en tout sélectionneur en soumettant un film grandiloquent et rupin, dépassant de préférence les deux heures, et surtout chantant le seul savoir-faire de la France en matière de grosse soirée réussie.»

Et demain ?

Samedi, premier week-end cannois et grosse journée, avec montées des marches à la chaîne pour trois films en compétition… Renoir de Chie Hayakawa, la réalisatrice japonaise de Plan 75, dystopie sur l’euthanasie des vieux, promet de faire le portrait d’une gamine excentrique confrontée au cancer de son père et au stress de sa mère : ce n’est donc pas un biopic de l’auteur de la Règle du jeu ni de son impressionniste de daron. De son côté, l’intrigant Nouvelle Vague de Richard Linklater est plus aligné sur son titre cinéphile, puisqu’il retrace le tournage d’A bout de souffle de Jean-Luc Godard avec, dans les rôles des grandes figures de la NV, un bon gang des bébés clones de Seberg, Belmondo, Truffaut ou Raoul Coutard. Enfin au max du tiercé hollywoodien gagnant glamour, gloire et trauma, Die, My Love de Lynne Ramsay, avec les superstars Jennifer Lawrence et Robert Pattinson, est un thriller autour de la dépression post-partum d’une fermière du Montana.

Dans les autres sélections, comme Un certain regard, on attend, avec impatience et avec notre sens du grand écart (ou du lumbago), aussi bien le Rire et le Couteau de Pedro Pinho, cinéaste portugais auteur de l’Usine de rien, un film-fleuve épique qui suit un Portugais travailleur d’ONG perdu en Guinée-Bissau, que le premier film de l’acteur baby boy Harris Dickinson, Urchin, sur un jeune Londonien en réinsertion. La Danse des renards de Valéry Carnoy (Quinzaine), Entroncamento de Pedro Cabeleira (Acid), et le pré-buzz thaï A Useful Ghost de Ratchapoom Boonbunchachoke (Semaine de la critchique), attisent notre désir insatiable ou imprononçable de nous buter tout le week-end au film d’auteur international.