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«Je n’ai rien compris, mais je vous remercie.» Ainsi parlait Hayao Miyazaki, visage plus inflexible tu meurs dans une vidéo projetée au Théâtre Lumière, où il reçoit la nouvelle de la palme d’or d’honneur remise au studio d’animation Ghibli – non sans plaindre son fils Goro Miyazaki de s’être coltiné le déplacement à Cannes. Un degré d’enthousiasme à peu près équivalent à si l’on venait de lui annoncer la sortie d’un remake japonais de Des Chiffres et des lettres.
De notre côté, on n’a pas tout compris non plus au dernier film de David Cronenberg. Mais on saute au cou d’Ali Abbasi pour nous avoir offert, avec The Apprentice, l’une des vraies réjouissances de cette compète. Une scène de liposuccion y confirme le tropisme chirurgical de cette édition du festival, décidément fascinée par les lipofilling et les tissus adipeux, en plus d’avoir poussé tous les curseurs du body horror avec l’acclamé The Substance de Coralie Fargeat.
La «substance», après une semaine d’un festival riche en gestes hyperboloïdes, c’est un peu comme ça que la team culture décrirait ce qu’il lui reste de cerveau. Accrochons-nous, on entre dans la deuxième semaine. Et selon des photographies indiscrètes prises au saut du clic-clac, une bonne partie des accrédités ressemblent trait pour trait au chihuahua à la langue pendante de Demi Moore.
Splash
«The Substance» de Coralie Fargeat. La réalisatrice française s’éclate en compétition avec une comédie choc et gore sur le vieillissement du corps féminin, avec Demi Moore en star sur le retour tentant de se refaire une jeunesse grâce à un sérum aux effets secondaires monstrueux. La compète rides or die
On aime beaucoup
«The Apprentice» d’Ali Abbasi. Le cinéaste dano-iranien réveille la compétition avec le récit rondement mené de la rencontre entre le futur président des Etats-Unis et le sulfureux avocat Roy Cohn, qui lui apprendra tous ses trucs et fera de lui la créature que l’on connaît. Le poker mentor de Trump
Bof
«Horizon» de Kevin Costner. Malgré un sacré tempérament, le western démesuré du revenant Costner s’enlise dans un classicisme pesant. Un film un peu à l’ouest
«Mongrel» de Chiang Wei Liang. En dépit de sa singularité, le film du jeune cinéaste taiwanais, sur un travailleur migrant exploité pousse un peu loin son pessimisme et son âpreté. On en a plein le dolorisme
Le portrait du jour
Barry Keoghan, instinct suspendu. Habitué aux rôles de gamin bizarre, l’Irlandais au passé rude et au jeu instinctif incarne un père bordélique et aimant dans Bird d’Andrea Arnold. Rencontre toute en élégance et en discrétion
Chassé Croisette
Interro surprise de Bilal Hassani à Cannes. Tu as fait la fête hier ? Ta technique pour être détendu sous les flashs ? Le monstre ou le psychopathe de cinéma dont tu te sens proche ? Toutes les réponses, et plus encore, du chanteur, qui brille dans «les Reines du drame» d’Alexis Langlois sans oublier notre critique du premier film du nouveau fist prodige du cinéma français
En direct
Remake moi si tu peux. On ne vend pas que des films à Cannes, on vend aussi des «contenus» et, si possible, graal du graal, on vend des «IP». «Aï-pi» comme «propriété intellectuelle», entendez par là l’ensemble d’un univers créatif, entendez par là : un film mais aussi son prequel, son sequel, son spin-off, sa V2, V3, V4. Lancé pour la première fois devant un parterre d’acheteurs internationaux aux yeux cernés, l’événement «Cannes Remakes» venait ce lundi 20 mai entériner une tendance de fond de l’industrie depuis le tournant des années 2000 : l’adaptation de la Famille Bélier ou Dix pour cent avec un nouveau casting 100% local plutôt que la distribution du film à l’étranger avec sous-titres ou doublages. «Une comédie française, dans sa version originale sous-titrée, n’a aucune chance d’attirer le public en salle», soulignait récemment dans les Echos Agnès Mentré, responsable des acquisitions nord-américaines chez le distributeur Wild Bunch. Notre reportage : Après «Bienvenue chez les Ch’tis» en chinois ou «Antoinette dans les Cévennes» version américaine, une nouvelle fournée de remakes se prépare à Cannes
Et demain ?
On prévoit déjà de rendre grâce à genoux pour Miséricorde d’Alain Guiraudie, maître du désir du cinéma français sélectionné à Cannes Première, et l’on a hâte de se perdre dans l’apocalypse numérique du duo Caroline Poggi et Jonathan Vinel, invités à la Quinzaine des cinéastes avec leur deuxième long métrage Eat the Night.
Ils ne seront pas les seuls à nous faire «manger la nuit» puisqu’en compète, Sean Baker, sensation de l’indé américain, retracera le parcours d’une travailleuse du sexe entre New York et Las Vegas dans Anora. L’emballement est aussi maximal pour le deuxième long métrage du Brésilien Marcelo Caetano, Baby, suivant la dérive à São Paulo d’un jeune marginal chamboulé par une rencontre dans un cinéma porno. Yes, please.