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Libération
Journal de bord

Festival de Cannes, jour 8 : orage, ô désespoir, ô Bezos ennemi

Aujourd’hui, on aime Jafar Panahi, on s’étrangle devant Spike Lee et on embarque sur notre superyacht pour une leçon d’écologie.
Sur le port de Cannes, dimanche 18 mai. (Marie Rouge/Libération)
publié le 20 mai 2025 à 20h07

Ce mardi 20 mai, le département des Alpes-Maritimes était placé en double vigilance jaune pluie-inondation et orages. Les festivaliers auront eu tout loisir de profiter du déluge tout au long de la journée, notamment les critiques du Libé Cannes crew déboulant aux projos à l’état de serpillières trempées avant de gigoter sur le siège avec des bruits de noyade en haute mer. A la Semaine de la critique, toute une délégation allemande s’est retrouvée en slip dans les toilettes, à tenter désespérément d’essorer ses habits sous les séchoirs à mains. A la projection matinale en salle Agnès-Varda, dont l’architecture audacieuse se partage entre la cathédrale de tissu et le préfabriqué, le bruit du tonnerre a quasiment couvert le son du film. Entre deux allers-retours dans la tempête, on a également appris que Lauren Sánchez, la future madame Jeff Bezos, qui participait il y a un mois à un vol spatial Blue Origin hypermédiatisé qui aurait généré en 11 minutes l’équivalent des émissions d’un conducteur français sur un an et demi, avait été récompensée lundi soir à Cannes par un prix du Global Gift Gala pour son engagement écologique. Elle est venue avec son dulciné, en superyacht consommant près de 2000 litres de carburant par heure. Les chercheurs du Giec sont pourtant catégoriques, aucun lien n’existe entre ces deux faits.

Les films du jour

On aime

Un simple accident de Jafar Panahi. En compétition. Dans son nouveau film tourné à sa sortie de prison, l’Iranien, figure éminente de la dissidence, raconte la relation entre une victime et son bourreau, lors d’une virée en van. Une critique du régime sans détour. «Un simple accident», critique sans détour du joug iranien

Imago de Déni Oumar Pitsaev. Semaine de la critique. A la frontière entre docu et autofiction, le cinéaste sonde la communauté tchétchène exilée en Géorgie et sa relation à son père. «Imago», un documentaire entre tradition et paternité

Drunken Noodles de Lucio Castro. Acid. Le superbe film de l’Argentin sur un ­étudiant en art qui vient passer l’été à New York mêle aventures érotiques et mésaventure amoureuse. «Drunken Noodles», on n’est pas bien là, entre nouilles ?

Classe moyenne d’Antony Cordier. Quinzaine des cinéastes. Servie par un excellent casting, la comédie grinçante imagine un jeune étudiant ex-prolo devenu agent de paix entre des bourgeois et leurs employés. «Classe moyenne», conscience de clash

On aime bof

Indomptables de Thomas Ngijol. Quinzaine des cinéastes. Tiré de faits réels, le thriller policier fait le portrait d’un flic violent et des fléaux endémiques au Cameroun sans réussir à se trouver une véritable profondeur de champ. «Indomptables», climats polar à Yaoundé

Once Upon a Time in Gaza de Tarzan et Arab Nasser. Un certain regard. Un peu exsangue, le dernier film des frères Nasser sur un vendeur de sandwich falafel forcé de devenir acteur dans un film de propagande a le mérite de rappeler que le cinéma gazaoui reste vivant. «Once Upon a Time in Gaza», poids chiche

Météors d’Hubert Charuel. Un certain regard. Après le carton Petit Paysan, le deuxième long métrage du cinéaste français sur les (més)aventures un trio d’amis s’éparpille malgré un début prometteur. «Météors», confusion nucléaire

Sauve qui peut

Highest 2 Lowest de Spike Lee. Hors compétition. Après une palme d’or surprise remise à son complice Denzel Washington, le cinéaste a présenté, lundi 19 mai, son remake du chef-d’œuvre de Kurosawa Entre le ciel et l’enfer. Désastre total. «Highest 2 Lowest», croûte que coûte

Portrait cannois

Premier cinéaste nigérian en sélection cannoise avec My Father’s Shadow, Akinola Davies, cultive une foule d’influences artistiques en fructueuse collaboration avec son frère. Akinola Davies, surprise arty

La rencontre

Le cinéaste iranien Jafar Panahi, incarcéré plusieurs mois à la prison d’Evin, revient à Cannes en compétition avec Un simple accident. Malgré les pressions, il continue de tourner dans la clandestinité et refuse de quitter son pays. Interview

En direct

Jeff Bezos et Lauren Sánchez sont sur un bateau, l’écologie tombe à l’eau. Lundi 19 mai, la fiancée du milliardaire a reçu un prix pour saluer son «plaidoyer pour la justice climatique». Que le couple est venu chercher dans son superyacht de 127 mètres de long. Les ultrariches ça ose tout, c’est même souvent à ça qu’on les reconnaît

Derrière les beaux discours, la politique sous le tapis. Ukraine, Gaza, discours anti-Trump… Si cette édition 2025 semble ultrapolitisée, en coulisses, les travailleurs précaires du Festival sentent un durcissement de leur liberté de parole au nom de la «sécurité».

En bref

Alphatigue. La projection officielle lundi soir d’Alpha, le nouveau film de Julia Ducournau, a été secouée par un incident au balcon, un spectateur a fait un malaise, les gens ont commencé à crier qu’il fallait interrompre la projection qui s’est poursuivie, les pompiers menant leur intervention dans le vacarme incessant du film et exfiltrant le malade sur une civière. Il semble qu’il n’y ait aucun lien entre ce que le film montre et cette défaillance. Par ailleurs, Variety a chronométré à 11 minutes 30 secondes la standing ovation pour l’équipe du film, une des plus longues pour un film en compétition. Variety comme Hollywood Reporter, les deux principaux médias professionnels américains se montrent très réservés : «Il faut reconnaître à Ducournau le mérite d’avoir refusé de se fixer ou d’emprunter la voie hollywoodienne après avoir remporté la Palme, mais on peut aussi se demander si son dernier film plaira à quelqu’un d’autre qu’à elle-même», peut-on lire dans l’article de Jordan Mintzer, envoyé spécial du HR à Cannes.

Magellantement. Cannes serait-il Cannes si on ne prenait pas la fuite devant un film ? Cette année, c’est le Magellan de Lav Diaz. On avait pourtant envoyé notre spécialiste ès-détroits et caravelles, qui a jeté l’éponge après une heure de déambulations hagardes de Gael García Bernal dans la jungle (à un moment il tombe, tout le monde rit, on s’interroge) et de chants rituels ânonnés ad lib – au 48e «aki lolo» hurlé par le figurant philippin nu, le journaliste avoue : il a couru vers la porte et s’est autodélivré le droit d’aller manger un truc (il était 22h30). Dans la file d’attente avant la projection, des distributeurs parlaient d’une version intégrale du film «de plus de 9 heures» qui dormirait dans un coffre. On va dire qu’on regardera tout ça calmement après le raout.

Point critique, le quiz

Le jeu est simple : on vous donne un extrait d’une critique ciné parue dans Libération à l’époque, à vous de retrouver de quel film il s’agit !

«Notons qu’il flotte dans le film ce fumet scatologique permanent qui devient une véritable marque de fabrique [d’une galaxie] dont à peu près toute l’œuvre est visitée par le paradigme du caca-prout.»

Et demain ?

Pas moins de trois films en compète en ce neuvième jour, à croire que le Festival veut nous achever, mais on se lève d’un bond pour aller voir le troisième long métrage de Carla Simón, Romería. L’Espagnole, ours d’or à Berlin en 2022 pour Nos soleils, avait signé le bel Eté 93 en 2017 et elle est en compète pour la première fois. A ses côtés, Joachim Trier (Julie en 12 chapitres) revient à Cannes avec Affeksjonsverdi (comme ça se prononce) autour de deux sœurs qui voient débarquer leur père cinéaste après de longues années d’absence. Et le cinéaste sud-africain Oliver Hermanus entre lui aussi en piste avec History of Sound, histoire d’amour entre deux collecteurs de chansons populaires dans la Nouvelle-Angleterre des années 20.

Ailleurs sur la Croisette Jodie Foster joue une psychanalyste dont la patiente disparaît dans Vie privée de Rebecca Zlotowski (hors compétition), et Scarlett Johansson déboule à Un certain regard avec son premier long-métrage Eleanor the Great, qui met en scène une nonagénaire tentant de reconstruire sa vie après la mort de sa meilleure amie. La Semaine de la critique projettera son film de clôture, l’intrigant long métrage d’animation Planètes qui suit le destin de quatre akènes de pissenlit après une explosion nucléaire.