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Interview

Gabriel LaBelle : «J’ai pu créer mon Sammy Fabelman, quelque part entre Steven et moi»

Choisi pour incarner Steven Spielberg, qui lui a laissé une grande liberté, l’acteur canadien a pu accéder à de nombreuses archives filmées de la famille Spielberg, où il a pu puiser la matière à incarner son personnage.
Gabriel LaBelle aborde le rôle de Sammy Fabelman avec malice. (Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment)
publié le 21 février 2023 à 20h14

De tous les doubles de Steven Spielberg, et il y en a eu un paquet – de Richard Dreyfuss dans les années 70 au jeune héros de Ready Player One – Gabriel LaBelle a hérité de la mission délicate d’incarner cette fois vraiment le réalisateur, sans aucun autre filtre protecteur que celui du cinéma. Cet acteur canadien de 20 ans, dont c’est là l’un des premiers rôles importants (on l’a aussi vu dans la série American Gigolo), aborde le rôle avec légèreté et malice, piochant quelques traits choisis de son modèle sans se laisser écraser par l’imitation. Interrogé via Zoom, il revient sur un processus créatif qu’il n’est pas près d’oublier.

Tout a commencé par un rendez-vous sur Zoom…

J’habite Vancouver donc tout s’est fait à distance. Lors de la toute première audition, j’ignorais pour quel film, et pour quel réalisateur. Je n’ai plus eu de nouvelles pendant environ trois mois. On m’a finalement rappelé pour une nouvelle audition avec une scène à préparer en deux jours. A l’heure du rendez-vous, j’ai entassé des tas de livres et dicos sur la table de la salle à manger pour pouvoir mettre mon ordi portable à la bonne hauteur, et mon iPhone sur un trépied afin de me filmer parallèlement, car ils voulaient pouvoir revoir ma prestation…

Le lendemain, on m’a rappelé : «Steven Spielberg aimerait vous rencontrer maintenant.» Rebelote : deux scènes à travailler en très peu de temps. Livres, dicos, trépied, iPhone. Quand j’ai exporté la vidéo, j’ai compris que mes deux scènes duraient cinq minutes chacune, mais que le rendez-vous avait duré une heure. Une heure pendant laquelle on a simplement parlé, fait connaissance, traîné, comme deux potes… Le lendemain on m’annonçait que j’avais le rôle.

Comment Steven Spielberg vous a-t-il présenté le projet ?

Après avoir découvert le scénario, je pensais qu’il allait me prendre entre quatre yeux pour me dire : «Voilà ce que ça veut dire d’être moi, de m’incarner.» Qu’il allait me donner ses grandes idées sur la vie. Il n’a rien fait de tout ça. Ça a été plutôt à moi de le harceler. Je voulais savoir quelle part du scénario était réellement inspirée de sa propre vie. Il m’a simplement répondu : tout. A partir de là, je me suis dit qu’il fallait que j’arrive à le connaître à fond. Il est devenu mon sujet, mon sujet d’étude.

Comment vous y êtes-vous pris ?

On a énormément «zoomé» ! Je l’ai mitraillé de questions, pendant un mois. Et aussi, puisque enfant et adolescent il a passé son temps à filmer sa famille, à documenter leur vie, on m’a donné accès à toutes ces bandes ! J’ai pu voir comment les Spielberg vivaient, se comportaient les uns avec les autres. Son père le filmait aussi, donc j’ai pu observer Steven lui-même bouger, se déplacer dans l’espace, évoluer physiquement, ses postures de prédilection. J’avais d’un côté son ressenti émotionnel, via tout ce qu’il me racontait, et de l’autre je pouvais le voir vivre à cette époque. A moi de mettre tout ça ensemble : il m’a laissé une totale liberté pour cela. J’ai pu créer mon Sammy Fabelman : il y a comme une sorte de triangulaire entre Steven et moi, et Sammy qui se trouve quelque part au milieu. Je voulais juste m’assurer qu’il voyait sa propre expérience à travers moi. Qu’il la reconnaissait.

Il y a, au détour de quelques plans, certains moments fugitifs de ressemblance entre vous et lui.

J’ai essayé d’imiter un peu sa façon de se tenir et de se mouvoir, mais ce qui me semblait le plus important a été son sourire : il a un sourire très particulier car quand il sourit, sa dentition supérieure est recouverte, alors que moi quand je souris toutes mes dents se découvrent. Et aussi ce regard qui pétille quand il est derrière la caméra, qui est exactement le même aujourd’hui que quand il tournait ses petits films amateurs à 16 ans.

Quel était votre rapport aux films de Spielberg avant d’être ainsi catapulté dans son enfance, qui est le creuset de nombre de ses films ?

Je connaissais presque tous ses films avant d’être impliqué dans le projet. Et en attendant de recevoir le script je me suis replongé dans toute sa filmographie. J’ai aussi regardé toutes les interviews filmées de lui que j’ai pu trouver. J’ai découvert Empire du soleil, que je ne connaissais pas, et qui m’a énormément impressionné : c’est un film hallucinant, porté par un Christian Bale de 13 ans vraiment génial. Ensuite, j’ai demandé à Steven de m’indiquer les films qui l’avaient marqué dans sa jeunesse, et il m’a donné une liste… plutôt conséquente (rires) ! J’en ai visionné là aussi la majorité. A un moment donné, je me suis dit que je regardais vraiment trop de films au lieu de bosser.

Etant donné qu’il s’agit d’un matériau autobiographique, avez-vous ressenti pendant le tournage des moments chargés émotionnellement, où vous avez senti que le cinéma et la vie se superposaient ?

Après avoir appris à connaître Steven par Zoom pendant un mois, j’avais compris qu’il est très sensible et intuitif, et aussi qu’il peut être assez nerveux au moment d’entamer un nouveau film. Le premier jour de tournage, je lui ai demandé :

— Es-tu stressé ?

— Comment ça ?

— Eh bien, quand Michelle (Williams) et Paul (Dano), qui jouent tes parents jeunes, vont arriver sur le plateau, quel effet crois-tu que ça va te faire ?

— Oh tu sais, j’ai tellement pleuré pendant l’écriture, que là je pense que je suis immunisé. A partir de maintenant je vais pouvoir l’aborder comme n’importe lequel de mes films. Pas de souci !

Mais quand il les a vus arriver, ensemble, en costumes, avec les coiffures et le maquillage, il a été étreint par l’émotion. Il m’a expliqué plus tard qu’il avait oublié, l’espace d’un instant, que Paul et Michelle étaient des acteurs, qu’il avait vraiment vu ses parents. Comme une sorte d’hallucination… Il a perdu sa mère cinq ans avant ce tournage, et son père deux ans seulement avant, il y avait donc quelque chose de thérapeutique et cathartique dans l’expérience. C’est en même temps un deuil et une résurrection. Vivre ça au côté de n’importe qui serait fort, mais au côté de Steven Spielberg, c’est assez incroyable.