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Libération
Tapis rose

Greta Gerwig, réalisatrice de «Barbie», à la tête du jury du festival de Cannes 2024: la présidente qui valait un milliard

«Barbie», un film phénomènedossier
La comédienne américaine, qui a pulvérisé le box-office mondial cet été avec «Barbie», son troisième long-métrage en tant que réalisatrice, a accepté de présider le jury du prochain raout cinéma en mai 2024, succédant à Ruben Ostlund.
Greta Gerwig à la Mostra de Venise, le 31 août 2022. (Vianney Le Caer/Invision.AP)
publié le 14 décembre 2023 à 5h01

Dressing code rose pour tout le monde en mai 2024 à la première montée des marches du palais des festivals à Cannes. Car la comédienne et cinéaste américaine Greta Gerwig, qui ne cesse de rappeler son attachement très européen à une tradition auteuriste et intello, a accepté d’endosser la fonction de présidente du jury. Succédant à quatre années de présidence masculine (Alejandro González Iñárritu, Spike Lee, Vincent Lindon, Ruben Ostlund), Gerwig représente pour le duo à la tête du plus grand raout cinéma au monde, Iris Knobloch, présidente, et Thierry Frémaux, délégué général, un joli coup qu’ils ont sécurisé suffisamment tôt et jugé trop difficile à sceller dans le béton d’un secret durable pour en faire la révélation avant même le changement d’année.

Car Gerwig est cette année, avec la chanteuse Taylor Swift, l’autre femme qui vaut plus d’un milliard. Le film Barbie avec Margot Robbie, sorti au début de l’été, a pulvérisé le box-office et est devenu le plus gros succès jamais enregistré par la Warner avec 1,36 milliard de dollars de recettes globales. En coécrivant avec son compagnon, le cinéaste Noah Baumbach, Gerwig semble avoir su saisir dans une forme pop, intégrant le premier et le vingt-cinquième degré, le zeitgeist d’une guerre des sexes en pleine révolution féministe, tout en répondant point par point aux exigences d’une production élaborée de longue date par la firme de jouet Mattel dont le nouveau et avisé PDG, Ynon Kreiz, déclarait : «L’objectif était donc de trouver le moyen de faire passer Mattel d’une société de jouets qui fabrique des articles à une société de propriété intellectuelle qui gère des franchises.»

Attachement à une diversité de forme et de formats

On a vu pire lancement industriel. Certes Gerwig est sortie de la folie Barbie couverte de gloire et pesant désormais à Hollywood un poids qu’on peut juger quasiment sans limite mais c’est aussi le genre d’aubaine dont il faut savoir se relever. Car quel film ou projet lancer quand d’évidence, on doit la tanner pour faire Barbie 2 ? Qu’elle ait accepté Cannes et ce séjour de haute consommation de films prouve du moins que son centre de gravité reste un attachement à une diversité de forme et de formats, elle qui a pu enchaîner en tant qu’actrice la comédie Sex Friends d’Ivan Reitman en 2011 et les gracieux Damsels in Distress de Whit Stillman et Frances Ha de Noah Baumbach (qu’elle avait coécrit) en 2012.

Durant la promo de Barbie, défiant un peu tous les repères d’interviewers américains habitués à des listings de films ou séries franchisés en guise de références ultimes, elle dévoilait une liste d’une trentaine de classiques dont son film était comme la digestion la plus up to date : Madame de... de Max Ophüls, Playtime de Jacques Tati, les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, les Chaussons rouges de Powell et Pressburger, etc. Dans Vanity Fair, elle montrait à la journaliste une capture d’écran d’une citation de Bergman période Persona qu’elle avait mise de côté qu’alors qu’elle était en plein tournage de Barbie (que de nombreux amis de son entourage intello à New York lui avaient déconseillé de faire) : «Persona a été une percée, un succès qui m’a donné le courage de continuer à chercher sur des chemins inconnus…»

«Bouleversée, enthousiaste et empreinte d’humilité»

Dans le communiqué officiel envoyé par le festival de Cannes, Greta Gerwig insiste sur le rapport à l’expérience de la salle de cinéma : «J’aime profondément les films. J’aime les faire, j’aime aller les voir, j’aime en parler des heures. En tant que cinéphile, Cannes a toujours été pour moi l’acmé de ce que le langage universel des films peut représenter. Se mettre dans un état de vulnérabilité, prendre place à l’intérieur d’une salle obscure remplie d’inconnus pour regarder un film nouveau est ce que je préfère. Je suis bouleversée, enthousiaste et empreinte d’humilité de devenir la présidente du jury du festival de Cannes. J’ai hâte de découvrir quels voyages nous attendent !»

A Libération, à propos de son adaptation du roman de Louisa May Alcott, les Filles du docteur March (qui succède à la révélation de Ladybird, son premier film signé en 2018), elle anticipait sur le virage comédie musicale de Barbie en expliquant à propos des options de mise en scène déjà prises pour ce film en costume : «Comme le film joue avec beaucoup d’idées méta, réflexives, intellectuelles, les enrober dans une atmosphère de musical au goût sucre d’orge faisait partie du projet. Une cuillère de sucre aide à faire passer la pilule [A spoonful of sugar makes the medicine go down, chanson de Mary Poppins] et personnellement, j’adore le sucre.» Elle ajoutait : «La sensualité et l’intimité contenues dans l’acte de création m’intéressent à égalité avec les considérations très concrètes et commerciales qui s’y rattachent. Et je ne crois pas qu’un des deux aspects soit plus pur qu’un autre. L’art que l’on crée pour soi émane de l’âme, c’est important, mais savoir le vendre, l’offrir au monde, l’est également. Cela n’en fait pas quelque chose de sale

Deuxième plus jeune présidente du jury cannois

Une idée qui est au cœur depuis longtemps du discours de Thierry Frémaux, cherchant partout la formule gagnante entre auteurisme et succès, et imaginant le festival comme un instrument pour faire turbuler à plein régime des films qui sinon connaîtraient des succès d’estime ou simplement critique. Il peut aborder 2024 avec le bilan de 2023 couvert par le prestige international de la palme d’or, Anatomie d’une chute de Justine Triet et un succès au box-office au-delà du cap du million d’entrées.

Native de Sacramento (elle est la fille d’une infirmière et d’un consultant financier et programmeur informatique), Greta Gerwig, 40 ans, sera la deuxième plus jeune présidente du jury cannois après Sophia Loren qui n’avait que 36 ans en 1966. Elle sera aussi celle qui opère au plus haut niveau d’accomplissement artistique et économique la synthèse de deux carrières de comédiennes et de cinéastes, sachant que les femmes ayant accédé au poste sont une minorité avec une large part d’actrices (Olivia de Haviland en 1965, Sophia Loren en 1966, Michèle Morgan en 1971, Ingrid Bergman en 1973, Jeanne Moreau en 1975 et à nouveau en 1995, Catherine Deneuve en 1994 en duo avec Clint Eastwood, Isabelle Adjani en 1997, Liv Ullmann en 2001, Isabelle Huppert en 2009 et enfin Cate Blanchett en 2018), une romancière (Françoise Sagan en 1979) et une seule cinéaste, Jane Campion, en 2014. Le festival se déroulera du 14 au 25 mai 2024. En attendant, on demande officiellement à Mattel de sortir enfin la Barbie critique de cinéma (ou Barbie cinéphile ?) qui manque cruellement à tous ceux qui veulent défendre leurs goûts et leurs points de vue.