Si le titre n’était déjà pris, le film d’Ana Vaz aurait pu s’appeler la Nuit américaine, nuit noire, nuit bleue, nuit blanche, d’un continent après le crépuscule. La nuit ici, tombée sur les images au moyen de filtres, est à la fois matière et métaphore, espace et symbole, artifice et nature : c’est la nuit fantastique-politique, celle du Brésil, ce caractère sombre – colonial, aussi bien historique que contemporain – ici rendu sensible comme par transfert direct sur la pellicule 16 mm. Il fait nuit en Amérique (E Noite na América), le premier long métrage de cette jeune cinéaste et artiste brésilienne, connue pour ses nombreux films courts, accompagne, aperçoit, traque et ne capture pas mais capte les animaux sauvages qui s’aventurent dans l’espace urbain – dystopique rétro – de Brasília sous le Covid, poussés vers ce piège de béton par la destruction de leurs habitats forestiers.
Chronique «Fil vert»
Moufettes, capybaras, loups, fourmiliers, «réfugiés» dans la ville, comme le dit une soignante, sont recueillis par la police de l’environnement puis accueillis dans le grand zoo de la capitale, cette Brasília miniature, qui fut construit avant la création de la ville. Le film qui les piste sera, surtout ou avant tout, un œil : il est cette caméra qui cherche, à la poursuite du point et du cadre, un regard ni trop loin ni trop près, à l’impossible justesse (un regard en questionnement), à tenir sur et avec ces animaux en marge. Si on comprend suivre au départ les rondes de la brigade animalière, très vite autre chose l’emporte, à l’intersection entre cette recherche, proprement expérimentale, d’un langage de cinéma non humain, et la nuit américaine environnante, cette atmosphère de science-fiction omniprésente, que le film semble révéler plus qu’il ne paraît la créer.
Ce ne sont pas seulement les rapports entre l’humain et le non-humain qui sont explorés ici, mais aussi ceux qu’ils entretiennent avec leur tiers : l’inhumain, cette instance catastrophique qui est partout, qu’on connaît bien, que le cinéma connaît intimement (en tant qu’œil de verre, médium-machine), et dont il essaie de se libérer sous nos yeux, en même temps que le reste du monde. Le cinéma d’Ana Vaz affirme sa place technique et politique, dans le domaine précis du perceptible et de l’imperceptible, sur le front mondial de la lutte pour la vie.