«Le monde du cinéma, y compris en Belgique, est trop souvent un monde où l’abus de pouvoir est perçu comme inhérent à la discipline.» Nous sommes le 9 mars 2024, au Théâtre national Wallonie-Bruxelles, lors de la 13e cérémonie des magrittes, l’équivalent belge des césars. Ces mots, la monteuse Sophie Vercruysse les prononce l’air grave, dans une vidéo projetée à la face du cinéma belge. Elle vient de recevoir le prix du meilleur montage pour le Syndrome des amours passées. «Un monde, reprend-elle, où l’exception culturelle a trop souvent mené à un aveuglement exceptionnel envers le rapport de force, l’emprise et la maltraitance. Un monde où les prédateurs peuvent en toute impunité abîmer hommes et femmes. Ce système doit prendre fin.» Quelques applaudissements, la cérémonie reprend : la puissance du discours n’a pas secoué la torpeur générale.
Deux mois plus tard, Sophie Vercruysse, 46 ans, s’installe à la terrasse d’un bar bruxellois, sous un timide soleil de printemps. La monteuse le confirme : sans être nommé, un réalisateur était visé. «C’était Joachim Lafosse. Je voulais qu’il puisse se reconnaître.» En vingt ans, elle a collaboré avec le cinéaste belge à six reprises, entre 2004 et 2015. Six films et autant de «cicatrices laissées dans [s] on cerveau». Pendant plusieurs semaines, elle a hésité à convenir d’un rendez-vous. Depuis qu’elle a décidé de parler, des crises de larmes la saisissent. Si elle prend la parole, c’est parce