Remontant les quelques marches de pierre jonchées de feuilles d’arbres sèches, la caméra continue son mouvement, révélant, des pieds à la tête, la présence du corps de la cinéaste debout, et de dos, qui fume une cigarette en contemplant, au fond du plan, ce qu’on devine d’un bâtiment détruit. Trois plans brefs suivent, décrivant les solives noircies, tenant encore en l’air, de la maison brûlée au-dessus d’elle. Puis c’est un plan plus vaste, d’ensemble, et frontal : devant la ruine à ciel ouvert, Jocelyne Saab tient dans sa main un micro, et commence son film par ces mots lancés doucement à notre attention : «Voilà… c’est ma maison. Ou ce qu’il en reste.» Ces premières secondes de Beyrouth, ma ville, son moyen-métrage de 1982, qui rend compte, de l’intérieur, du siège de Beyrouth Ouest par l’armée israélienne, restent comme l’un des plus beaux débuts de films possibles.
Partant du choc de cet incendie et de la disparition d’un lieu de vie ayant abrité un siècle et demi de mémoire familiale, la cinéaste, née en 1948 et disparue en 2019, qui n’en était pas à son coup d’essai, mais signait là un de ses principaux coups de génie, se met à faire déambuler son regard dans la ville à l’aube, temps de répit entre les frappes, pour en faire le portrait élégiaque mais vivant, accompagnant son montage d’un commentaire de l’écrivain