«Tu survivras longtemps sans visage, sans yeux»… On doute qu’Aragon ait lu le roman de Dalton Trumbo, Johnny Got His Gun, quand il composait cette complainte fraternelle sur les sacrifiés de la Grande Guerre, mais les mots se ressemblent souvent dès qu’on évoque l’effroyable «boucherie» de 14-18 – rarement la métaphore aura si bien collé au sens littéral tant ce gigantesque casse-pipe aura broyé de chair et réduit les hommes à l’état de bouts de viandes fumantes. La cinégénie cauchemardesque des tranchées fera l’objet de violents réquisitoires (J’accuse d’Abel Gance, les Sentiers de la gloire de Kubrick), mais le film que Trumbo adaptera de son propre roman (publié en 1939) est d’une toute autre nature.
Pamphlet pacifiste – auquel l’enlisement des Etats-Unis au Vietnam donnait un second souffle –, Johnny Got His Gun (1971) est moins un film sur la folie belliciste (sans scène de front, ou presque) que sur ses effets, comment elle détruit les vies, démantibule les corps, déshumanise les êtres. Et c’est une expérience métaphysique, aussi éprouvante que poétique (car reposant principalement sur le ho