«Tout le monde le savait, dans l’industrie du cinéma, qu’un agresseur déguisé en réalisateur fait souffrir les petites filles pour les faire pleurer.» Ce jeudi 29 février au Palais du Luxembourg, Judith Godrèche s’adresse aux parlementaires de la délégation au droit des femmes. Durant cette audition d’une heure trente retransmise en direct, la comédienne dénonce l’«écrasement de la parole» et l’«invisibilisation de la souffrance des enfants» dans l’industrie du cinéma.
Elle réclame au Sénat de constituer une commission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, et demande le retrait de Dominique Boutonnat, président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), mis en cause pour violences sexuelles sur son neveu. «Cette famille incestueuse du cinéma n’est qu’un reflet de notre société», assène la comédienne pour qui le dialogue sur les violences sexuelles face à une gouvernance du CNC délégitimée sur ce terrain même (en 2022, Boutonnat était renouvelé à la présidence du CNC alors qu’il était mis en examen depuis un an, au grand dam des associations) est forcément «mort-né».
Judith Godrèche revient également sur le besoin de discuter avec les enfants, de les questionner en leur demandant, tout simplement : «Es-tu victime de violence ?» Pour elle, un enfant ne doit «jamais être laissé seul sur un tournage». Elle appelle à la mise en place d’un système de contrôle plus efficace, et réclame la présence de référents neutres sur les tournages auxquels des enfants participent ou de coordinateurs d’intimité. «Sur les plateaux de cinéma […], il n’y avait pas de Judith. Uniquement une petite fille sans prénom que se disputaient les adultes libidineux, sous les yeux d’autres adultes passifs, soumis à la toute-puissance du patriarcat.» Et elle ? «Je ne savais pas qu’il y avait la possibilité [de dire] non.»
Tel «un boomerang» revenant dans la figure des «agresseurs déguisés en réalisateurs», elle dénonce leur emprise et ce au nom des autres victimes. Et si elle parle au passé, «aujourd’hui encore sont nombreuses les désenchantées», rappelle-t-elle, mentionnant aussi les autres enfants frappés par les violences sexuelles. Car elle le martèle, «tout le monde savait». Mais selon elle, les victimes sont de plus en plus attaquées en diffamation, de quoi les dissuader de dénoncer des comportements illégaux. Elle préconise pour lutter contre cela de permettre aux victimes d’avoir le même avocat car quand «les victimes [d’un même homme] se rencontrent, la force se décuple».
«200 témoignages de techniciennes»
C’est pourquoi elle demande au Sénat la réhabilitation du juge Edouard Durand, évincé de la Ciivise en décembre 2023 – point sur lequel le Sénat la rejoint, assure Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat. La comédienne interpelle également Adèle Haenel, se remémorant son claquage de porte lors de la cérémonie des césars 2020, après la victoire de Roman Polanski : «Adèle, où es-tu ? Quel aurait été ton destin si ce soir-là, le public des césars avait été peuplé de juges Durand ?»
Parmi les fameuses «désenchantées», elle cite également les personnes de l’ombre du cinéma, dont elle a reçu des témoignages depuis sa prise de parole. «En une journée, j’ai reçu 200 témoignages de techniciennes qui ont toutes reçu un selfie du sexe d’un réalisateur français. […] Elles étaient sur des tournages différents, et elles ont toutes reçu cette photo, comme ça… […] Il y a des techniciennes à qui un réalisateur a dit : “Tu veux me sucer la bite ?” […] Elles sont allées voir le producteur qui leur a répondu : “Tu ne vas pas faire d’histoire, ça va”». Judith Godrèche a plus tard souligné la peur de ces techniciennes de retrouver du travail si elles dénonçaient ces faits.
L’actrice et réalisatrice dit ne «plus avoir grand-chose à perdre aujourd’hui, puisque je suis moi-même forte de toutes ces femmes invisibles […], qui se demandent si tous ces coups que je donne sur la porte vont finir par la faire céder». C’est pour cette raison qu’elle envisage de faire appel au président de la République, ayant déjà évoqué avec Rachida Dati le soir de son discours aux césars la possibilité d’être reçue à l’Elysée.
Prise de parole inédite
C’est la première fois que la Chambre haute reçoit une artiste. «Ce qui se joue en ce moment, c’est une révolution sociétale», a dit en inauguration de l’audition Dominique Vérien avant d’ajouter : «Comme vous, nous appelons à un sursaut et à une prise de conscience collective.»
Vendredi 23 février, Judith Godrèche avait déjà prononcé un discours durant la cérémonie des césars dans lequel elle dénonçait le «niveau d’impunité, de déni et de privilège» du milieu du cinéma. Devant l’Olympia ce soir-là, un rassemblement organisé par la CGT et certains collectifs féministes lui apportait son soutien, parmi lesquels Sophie Binet ou Anna Mouglalis, cette dernière considérant sa prise de parole comme «d’utilité publique».